Dans ce documentaire, la réalisatrice part d'une histoire personnelle où, petite, elle voyait régulièrement sa mère pratiquer la transe. La musique gnawa, initialement pratiquée par les gnawa, est devenue aujourd'hui l'apanage de groupes musicaux ayant fait «exploser» ses rites et coutumes en lui donnant une dimension internationale. Phénomène de mode ou véritable ancrage dans notre patrimoine ancestral? La réalisatrice marocaine, native de Aïn Kihal en Algérie, Rahma Benhamou El Madani, est partie à la rencontre de ces passeurs de flambeau, marquée quand elle était petite par une vision familiale liée à la musique gnawa. «Quand j'étais petite fille je voyais régulièrement ma mère pratiquer la transe. Elle entrait lentement dans cette attitude extrême jusqu'à oublier le monde extérieur et ses limites. Cette tendance presque païenne m'a toujours paru un peu illicite tout en étant permise. Comment se retrouve-t-on emporté par ces sons?Des années passèrent. Un jour, lorsque je travaillais dans une radio locale, je reconnus ces sons dans un disque que je reçus. Il s'agissait d'un groupe qui portait le nom de Gnawa Diffusion. J'ai d'abord été attirée par le nom. La musique était un mélange, une fusion entre la musique gnawa et des musiques modernes et occidentales. Les paroles étaient engagées. Amazigh Kateb et Aziz Maysour du groupe Gnawa Diffusion me donnent des réponses à cette image qui me hante, celle de ma mère prise par la transe en France. Et je dénoue cette image, ce mystère en allant vers les Gnawa du Maroc et d'Algérie», explique la réalisatrice dans son synopsis. Exportée, la musique gnawa se joue aujourd'hui partout. Du Maroc, à Sid Bel Abbès, d'Alger à Paris, sur scène ou en banlieue, du Sahara au Canada, cette musique mystique constitue une énigme à dénouer pour notre réalisatrice qui, à travers ce périple filmique, revisitera l'âme de ses origines. Pour ce faire, la réalisatrice ira à Roubaix, Grenoble et Paris (France), Sidi Bel Abbès et Alger (Algérie) et Essaouira, Marrakech et Tamesloht (Maroc). D'une durée de 80 mn et 52 mn, ce documentaire intitulé Tagnawitude est une coproduction algéro-franco-marocaine. Soit du côté français par All Cuts Studio, la société algérienne Lotus Films que dirige Rachid Diguer et du côté marocain Awman Production de Mohamed Nadif qu'on connaît ici en Algérie d'abord, en tant que comédien dans le court métrage La Jeune femme et l'instit. Ensuite, c'est dans la peau du réalisateur qu'il nous reviendra bientôt à travers le long métrage fiction Andalousie mon amour dans lequel joue notre comédien trublion Hichem Mesbah - avec l'aide du Centre national de la cinématographie et du Fond francophone audiovisuel de l'Or-ganisation de la Francophonie. Ce film mettra en exergue la générosité que caractérise la musique gnawa. Rahma Benhamou El Madani est partie à la rencontre du leader du groupe Gnawa Diffusion, Amazigh Kateb, et ses musiciens Pierre Feugier, Aziz Maysour mais aussi Maâlem Ben Issa (Benaïssa Bahaz) du groupe Diwan D'Zaïr, décédé en 2008. A travers ces figures emblématiques de la musique gnawi, Rahma Benhamou El Madani reconstituera le fil conducteur de cette musique, entre passé et présent, aujourd'hui démocratisée grâce à de nombreuses formations qui l'ont propulsée sur les scènes de festivals du monde entier. Décriés jadis, les baba Salem font désormais la fierté des jeunes qui trouvent dans cette musique le juste milieu qui relie leur penchant occidental à leurs racines. Une sorte de rééquilibrage des sens bien salvateur. «Le fait de distiller du combat dans la musique que nous on fait, ce n'est pas nouveau, les Gnawa l'ont fait eux-mêmes, dans leur musique, les esclaves qui étaient aux Amériques ont fait la même chose (...)en étant contraints de choisir entre deux soumissions, soit se soumettre à l'homme, soit se soumettre à ses divinités», affirme Amazigh Kateb. Outre le côté engagé des textes dont certains sont remaniés, et le génie novateur du verbe d'Amazigh, la documentariste lèvera le voile sans doute sur l'immense spiritualité de cette musique qui appelle au rassemblement, au recueillement mais aussi à la transe. Entre authenticité et modernité, certains comme Gnawa Diffusion ont réussi l'examen de passage, haut la main car porteurs d'une philosophie et un message forts, d'autres sans citer de nom, demeurent sur le fil du rasoir, tâtonnent sans pour autant altérer le goût de ces milliers de jeunes avides d'évasion et de changement. «La transe est plus douce, mais elle existe. Le public vient chercher cette fuite, cette possibilité de visiter un monde mystérieux.» C'est partant ainsi d'une histoire personnelle que la documentariste tentera de percer le secret d'un phénomène qui s'est généralisé en devenant une tendance sociétale bien déterminée. Avec plusieurs films au compteur entre court, documentaire et fiction, Rahma Benhamou El Madani prépare un nouveau documentaire de 52 mn sur l'Oranie actuellement en développement (tournage prévu en 2011) et est en pleine écriture de La chute de Chulan, long métrage fiction.