Le roi Mohammed VI a pris à contrepied les partis politiques en nommant un technocrate à la tête du gouvernement Pas totalement inattendue, son nom ayant figuré parmi les «ministrables», la nomination de Driss Jettou au poste de Premier ministre, illustre surtout l'échec essuyé par la coalition socialo-conservatrice, de Abderrahmane Youssoufi et Abbès Al-Fassi, qui a géré le royaume chérifien durant le dernier quinquennat. Maître d'oeuvre des élections législatives du 27 septembre dernier, Driss Jettou a réussi, selon les observateurs et les autorités marocaines, à organiser un scrutin «honnête et transparent», ce qui constitue, à n'en pas douter, une gageure dans un pays où les voix se proposaient quasiment à la criée. Moraliser la consultation électorale a été l'un des objectifs du ministre de l'Intérieur sortant. Outre ses qualités intrinsèques, cette aptitude aura aussi pesé dans sa désignation à la tête du gouvernement par le roi Mohammed VI. Le nouveau Premier ministre marocain n'est pas, en fait, un étranger aux arcanes politiques, quoique n'émargeant à aucun parti, ayant déjà exercé et occupé, sous le règne du défunt Hassan II, plusieurs postes ministériels dont ceux des Finances, du Commerce et de l'Industrie dans le gouvernement de Karim Lamrani. C'est sans doute les qualités de gestionnaire de ce technocrate, qui l'ont fait choisir par le roi pour un poste aussi exigeant. De fait, en désignant son chef du gouvernement, hors de la classe politique traditionnelle, Mohammed VI semble avoir mis un terme à la brève expérience, ouverte par son père en 1997, qui confia la direction du pays au leader socialiste, Abderrahmane Youssoufi, majoritaire au Parlement. Ce dernier a appris le nom de son remplaçant, lors du Conseil des ministres, présidé par le roi, qui a eu lieu mercredi à Marrakech. Dans une déclaration de presse, le porte-parole du palais royal a indiqué que le roi a chargé M.Jettou de «procéder à de larges consultations avec les différentes formations politiques en vue de constituer, au vu des résultats des élections législatives du 27 septembre 2002, une majorité gouvernementale réunie autour d'un programme d'action qui réponde aux réelles attentes du peuple marocain». Si la nomination de M.Jettou, 58 ans, a quelque peu surpris le sérail politique marocain, qui s'attendait à tout le moins à la reconduction de M.Youssoufi, - dont son parti, l'Usfp, garde la prééminence au Parlement avec 50 députés -, elle a, en revanche, satisfait le patronat marocain, et fait «l'unanimité des hommes d'affaires» qui retrouvent l'un des leurs au plus haut faîte du pouvoir. Nommé en juillet de l'année dernière, par le roi, directeur de l'important Office chérifien des phosphates (OCP), Driss Jettou a eu également en charge plusieurs sociétés industrielles et de service et dirigé la Fédération marocaine de l'industrie du cuir. Autant dire que le nouveau chef du gouvernement marocain dispose de réels atouts pour essayer de sortir l'économie marocaine du marasme et de l'impasse où l'avait plongée la gestion hasardeuse du gouvernement Youssoufi. Premiers à réagir à l'annonce de cette nomination, les socialistes et les islamistes se sont montrés très réservés sur le choix du roi. Driss Lachgar, président du groupe socialiste au Parlement, indique: «Ce choix nous a surpris.» expliquant: «Nous nous attendions à ce que le choix du Premier ministre reflète les résultats réalisés par les partis politiques au scrutin législatif du 27 septembre.» (lors duquel l'Usfp de Abderrahmane Youssoufi a remporté 50 sièges du nouveau Parlement). Moins nuancé, Mustapha Ramid, membre de la direction du PJD (islamiste, qui a eu 42 sièges devenant la troisième formation du Parlement) estime: «Cette désignation constitue un recul par rapport à ce qui a été réalisé depuis les législatives de 1997», ajoutant: «Je souhaitais que le choix du Premier ministre se fasse parmi les dirigeants des partis qui ont réalisé les plus gros scores lors des élections du 27 septembre, afin de consolider les fondements de la démocratie.» La première réaction étrangère, hier, était celle de Madrid, très satisfaite de la désignation de Driss Jettou en tant que chef du gouvernement. Dans une déclaration, Ana Palacio, ministre espagnole des Affaires étrangères, a indiqué: «Je suis convaincue que nous serons en excellente harmonie avec lui.» Il faut dire que les relations maroco-espagnoles, très tendues ces dernières semaines, ont connu une sérieuse détérioration après l'épisode de l'île Leila-Perejil. Il est cependant assuré que la promotion de Driss Jettou au premier ministère n'aura aucune influence sur la question du Sahara occidental du domaine réservé du palais royal. Joker du roi, Driss Jettou aura singulièrement la tâche et la mission de remettre sur les rails une économie en déliquescence. Toutefois, la tâche de Driss Jettou pour constituer son gouvernement s'annonce quelque peu difficile, à moins que le nouveau Premier ministre ne décide de puiser ses hommes dans la large liste des technocrates marocains.