Les médias américains, en ne montrant pas des corps déchiquetés, ont évité à l'opinion un abattement psychologique qui pourrait remettre en cause une mobilisation qu'on voudrait sans faille. La gestion médiatique américaine des attentats contre le World Trade Center et le Pentagone relève presque de la propagande pourrait-on dire. Une propagande qui met en avant le patriotisme américain, à tel point que le monde entier et les Américains eux-mêmes s'étonnent qu'un sentiment patriotique poussé à son extrême puisse exister dans une quelconque nation de par le monde. Dès les premières minutes après le double attentat sur les Twins Towers, la célèbre chaîne américaine CNN prend les choses en main, avec la bénédiction et le soutien des autorités suprêmes du pays. Un véritable embargo médiatique est institué autour des lieux du drame. Les chaînes de télévision du reste du monde sont contenues à plus de 20 kilomètres de l'endroit censé être au centre des intérêts de leurs téléspectateurs. Seul le plus grand média américain est autorisé à filmer les opérations de secours. Du coup, la terre entière suit les événements à travers les objectifs des caméras de CNN. Résultat: le téléspectateur ne voit que ce que l'Amérique veut bien qu'il voie, ni plus ni moins. Cette censure - on ne voit pas comment pourrait être qualifié le fait d'interdire l'accès à un site donné aux télévisions étrangères - s'est accompagnée d'un discours à la limite du nationalisme le plus extrême. Aussi la grandeur de l'Amérique est-elle mise en évidence à travers chaque image, chaque interview de responsables ou de simples citoyens. A ce propos, l'inscription en permanence sur les écrans de télé captant la chaîne américaine: «America's New war» (Nouvelle guerre de l'Amérique) est significative de la volonté de la machine médiatique US de conditionner l'opinion autour de la guerre que l'Etat veut absolument engager contre le terrorisme intégriste. C'est ainsi que l'essentiel des reportages diffusés s'orientent exclusivement sur la piste de Ben Laden, à telle enseigne que, bien avant la déclaration de George Bush, les Américains avaient déjà condamné le terroriste saoudien et réclament, à une proportion de plus de 90%, une vengeance impitoyable contre lui. L'action de CNN a fait que le patriotisme américain, qui ne fait pas de doute quant à son existence, est poussé à son paroxysme, colmatant toutes les brèches susceptibles d'apparaître. Les médias américains, en ne montrant pas des corps déchiquetés, ont évité à l'opinion un abattement psychologique qui pourrait remettre en cause une mobilisation qu'on voudrait sans faille. Cette attitude, relevant de la pudeur à en croire certains professionnels des médias, n'est pas du tout appliquée lorsqu'il s'agit d'autres nationalités où la même chaîne n'hésite pas à montrer des images insoutenables de corps d'Africains ou d'Indiens déchiquetés. Cela étant, l'émergence du patriotisme est aussi rendue possible par le comportement de la classe politique américaine qui a tu toutes les divergences et exprimé «son allégeance» au président Bush. En réalité, l'excellent travail médiatique accompli par CNN n'aurait pas eu l'effet escompté, si les responsables politiques n'avaient pas donné leur feu vert à une gestion drastique et paradoxalement quasi stalinienne de l'information. C'est aussi cela le patriotisme dans le pays de l'Oncle Sam. D'un autre côté, l'Amérique donne au monde, notamment à l'Algérie, une leçon de la gestion d'une crise sécuritaire majeure. Il est, en effet, important de signaler qu'aucun média, ni homme politique ne se sont amusés à accuser le gouvernement de laxisme ou d'être responsable des attentats terroristes par le fait de sa politique étrangère injuste envers beaucoup de peuples de la planète. L'Amérique officielle réagit comme un seul homme, donnant d'elle l'image d'un pouvoir solide et homogène. Le peuple, dans pareil cas, est galvanisé, de sorte qu'un avis contraire, même minoritaire n'a aucun droit de cité. L'objectif immédiat prend le dessus et les polémiques stériles sont évacuées. Nos professionnels de la communication et nos hommes politiques devraient méditer l'exemple américain.