Abdelkader Djemaï est un ancien journaliste qui a travaillé dans plusieurs journaux algériens avant d'entamer une carrière de romancier, riche de seize livres. Rencontré au stand des éditions Barzakh, à l'occasion du Salon international du livre d'Alger, Abdelkader Djemaï nous a parlé de l'exil et de l'écriture. L'Expression: Dix-sept ans d'absence de la ville d'Alger et une quinzaine de livres publiés. Est-ce que l'on peut dire que vous revenez d'un long exil? Abdelkader Djemaï: Non! je ne crois pas que ce soit un long exil. En arrivant ici, c'est vrai que j'ai retrouvé des images et des sons. Mais je ne conçois pas qu'il s'agit d'un exil au sens douloureux du terme. Pour moi, l'exil, c'est l'occasion de la création. L'exil n'est pas pleurnichard. Au contraire, il nous force à continuer, à faire encore ce qu'on fait et surtout à s'ouvrir. Un vrai écrivain, c'est quelqu'un qui est toujours en exil, même s'il n'a jamais quitté son pays. C'est le cas de Marcel Proust qui était dans sa chambre, il était en exil aussi. Je dis toujours qu'un écrivain porte un pays en lui. Est-ce que le fait que vous ayez vécu loin de l'Algérie ces dernières années vous a donné plus d'inspiration pour écrire vos romans? Si vous étiez resté en Algérie, auriez-vous écrit autant de livres? Peut-être que j'aurais écrit différemment, mais pas dans le sens de la thématique. On écrit progressivement et ce n'est qu'après qu'on se dit qu'on va construire une oeuvre sans prétention aucune. Il y a une espèce de continuité dans la création: dans la thématique, dans les personnages, dans les atmosphères, etc. Vous avez eu l'opportunité d'être publié par une grande maison d'édition française, le Seuil, dont rêve tout écrivain francophone. L'accès au Seuil, dont on connait l'aspect exigeant, vous a-t-il été facile? C'est la tradition de Roblès: le Seuil a toujours accueilli les auteurs du Maghreb dans la collection qui était dirigée par Emmanuel Roblès. Je suis à mon sixième livre chez cet éditeur, ça s'est passé naturellement et tranquillement. On m'a demandé si je voulais aller au Seuil, j'ai dit oui. J'ai proposé Camping. Le livre a été accepté. Parlez-nous de votre nouveau roman... Il s'intitule Zohra sur la terrasse. C'est un tableau de Matisse qu'il a peint durant son voyage à Tanger en 1912-1913. Un peu avant le protectorat. Il va venir avec son épouse, Amélie et il va rentrer dans la cité marocaine. Il va faire de magnifiques tableaux. Je me suis dit: voilà un grand peintre comme Matisse qui aime les autres et qui est en empathie avec ce pays qu'est le Maroc, avec ses habitants. En plus, il ressemblait un peu à mon grand-père. Comme j'aimais beaucoup ce dernier, je me suis dit, je vais raconter le voyage de Matisse à Tanger et en même temps, parler de mon grand-père et de mon enfance à Oran. C'est une espèce de biographie croisée. Nous avons constaté qu'il y a une grande part d'autobiographie dans vos romans. N'est-ce pas? Il y a une part d'autobiographie certaine. Je ne crois pas les auteurs qui disent qu'ils ne sont pas dans leurs livres. Sinon, ce n'est pas la peine d'écrire. Au moins, une infime partie de soi est dans leurs livres. Pourquoi on écrit? Parce qu'il nous manque quelque chose. Mais moi, je n'ai pas envie de savoir ce qui me manque pour écrire. Au fond, un auteur c'est quelqu'un qui est parmi les autres et qui a les mots en plus. C'est tout. Ce n'est pas quelqu'un qui est dans sa tour. Chacun d'entre nous porte un livre en soi. Il faut le sortir, c'est tout. Entretenez-vous des relations avec des écrivains algériens ou étrangers en France? On se voit rarement. Chacun est occupé par son travail. On se rencontre juste dans les Salons du livre. Parlez-nous de vos lectures? Je fais partie de la génération des lecteurs qui ont lu Mohammed Dib, Kateb Yacine, Mouloud Feraoun, Malek Haddad... Quels sont les écrivains qui vous ont marqué et qui vous ont surtout inspiré dans votre écriture? Il y a beaucoup d'auteurs. Un lecteur, c'est une sédimentation de lectures. Je peux citer quelques-uns toutefois: Mohammed Dib, Gabriel Garcia Marquez, Kateb Yacine, Albert Camus... Avez-vous écrit le roman dont vous rêviez? Pas encore. Peut-être ce sera le dernier roman de ma vie. C'est un peu comme le dernier amour. J'étais très heureux en publiant Un été de cendres. C'était un de mes premiers romans. Il y a eu une sorte d'état de grâce en l'écrivant. Je dois dire qu'on apprend tout le temps à écrire. L'écriture, c'est de l'apprentissage. Dans le mot apprentissage, il y a deux verbes: il y a le verbe apprendre et le verbe tisser. Dans la vie, comme dans la littérature, il faut apprendre à tisser. En latin, le mot texte veut dire tissu. Un livre a de l'étoffe. Quelles sont vos impressions en prenant part à ce Salon du livre? Je suis content d'être là. Il y a une grande affluence. Et surtout, la présentation du Salon en lui-même est formidable!