Après feu Larbi Zekkal une autre grande icône du cinéma algérien tire sa révérence. L'actrice Keltoum, de son vrai nom Aïcha Adjouri, 94 ans, est décédée dans la matinée de vendredi 12 novembre. Son visage est incontestablement lié à celui du film Le Vent des Aurès de Lakhdar Hamina (1966) dans lequel elle tient magistralement le rôle d'une mère qui cherche désespérément son fils raflé par l'armée française pendant la guerre de Libération. Elle sera d'ailleurs son actrice fétiche puisqu'elle enchaînera les rôles avec le même réalisateur, soit dans Hassan Terro en 1968, puis dans Décembre en 1972. Grande figure du théâtre et du cinéma, Keltoum avait été attirée par la danse et le théâtre. De l'audace à en revendre chez cette femme inégalée en ce début de siècle. Une dame comme on en fait plus aujourd'hui. Keltoum incarnait véritablement l'âme de l'Algérie, son combat son courage et sa tenacité. Un exploit miraculeux pour cette époque. A plusieurs reprises, étant enfant, elle s'était sauvée de chez ses parents pour aller voir et suivre des acteurs et danseurs ambulants. C'est Mahieddine Bachtarzi qui la découvrit à Blida, en 1935, et lui offrit sa chance. Malgré le poids des traditions, elle tiendra le coup. Une grande tournée en France et en Belgique ne tarda pas à prouver, tant au directeur de la troupe, qu'a l'artiste qu'ils ne s'étaient pas trompés. Anvers, Liège, Bruxelles, Paris, Lyon, Marseille l'applaudirent. A Nice, elle dansa, un soir, devant 20.000 personnes, au Jardin Albert 1er. C'est au cours d'une tournée au Maroc qu'elle affirmera son talent de comédienne. Elle devait ensuite créer de nombreuses pièces, soit aux côtés de Bachtarzi, soit avec Rachid Ksentini ou Habib Réda. Avec le déclenchement de la guerre de Libération nationale, en novembre 1954, elle répond comme tous les artistes algériens à l'appel du Front de libération national (FLN), pour cesser toutes activités. Au cinéma, Keltoum fera ses débuts dans La Septième porte Svoboda. C'est au moment où elle s'apprêtait à signer de nouveaux contrats qu'un incident (à la suite d'une dépression nerveuse, Keltoum se précipita dans le vide du haut de sa villa de Bologhine et se fractura les vertèbres) vint interrompre, le 30 mai 1951, sa carrière..., mais pas pour longtemps. En 1952, elle reprit son rôle de Desdémone dans Othello, la fameuse pièce de William Shakespeare, traduite en arabe par Ahmed Toufik EI Madani. En 1956, elle arrêta ses activités artistiques et ne reprit qu'en 1963 avec le TNA jusqu'à sa retraite. Son vrai premier rôle au théâtre, elle le joua dans la pièce de Bachtarzi, Mariage par téléphone, en compagnie de Rachid Ksentini. Elle joua tout à fait par hasard dans un film allemand, en 1945, mais sa carrière cinématographique ne commencera que vingt ans plus tard, en 1965, avec Le Vent des Aurès de Mohammed Lakhdar-Hamina. Après l'Indépendance, elle rejoint, en 1963, la troupe nationale du théâtre algérien, où elle travaille avec d'illustres comédiens comme Mustapha Kateb, Rouiched, Allal Mouhib, Hadj Omar, Nouria, Agoumi, Alloula et toute une pléiades d'artistes. Depuis, la grande comédienne a joué dans plus de 70 pièces de théâtre et une vingtaine de films. C'est à Keltoum que furent confiés les principaux rôles féminins, qu'il s'agisse de comédie ou de tragédie. La radiodiffusion en langue arabe la compta parmi ses pensionnaires les plus écoutés. Elle enregistra cinq disques avant 1962 (Ya ouled El Ourbane, Ahd Thnine, etc.), elle arrêta de chanter après la naissance de son enfant en 1954). Au cinéma, on la retrouve aussi en 1986 dans Les Folles années du twist de Mahmoud Zemmouri puis au théâtre, de nouveau, en 1987, dans La Mort d'un commis voyageur, de Fawzia Aït El· Hadj. Huit jours avant la «générale» de la pièce, on lui signifia sa mise à la retraite. Elle fut choquée par cette décision, elle qui croyait encore être pleine de ressources et rappelait, à juste titre, qu'elle ne vécut avec sa famille que 13 ans alors qu'elle avait passé 50 ans dans le théâtre. Elle fit une dernière apparition sur les planches sur insistance de son ami Rouiched dans El Bouwaboune (1991). Un hommage lui a été rendu début mars 2010, à Alger, par l'association Lumières du cinéaste Amar Laskri.