L'Expression: Le bâton et l'injure sont devenus deux instruments qu'utilise l'enseignant pour maintenir sa position de force vis-à vis de l'élève. Pourquoi en est-on arrivés là? Les châtiments corporels et verbaux sont-ils propres aux Algériens? Iamarene Dalila-Djerbal: Ce qui se passe à l'intérieur de l'école reflète ce qui se passe dans la société, en plus de la surcharge des classes, d'une pédagogie du XIXe siècle et de l'absence de la notion de respect pour les droits de l'enfant. La violence est devenue le type de communication essentielle entre les groupes, entre les individus et remplace la pédagogie. La violence verbale et physique est dirigée selon les cas: du directeur vers les enseignants, violence des enseignants entre eux, violence des enseignants envers les enfants, violence des enfants entre eux et parfois même violence des enfants envers les enseignants. Mais bien sûr, la violence des enseignants et des responsables d'établissement sur les enfants est la plus commune car elle est sans risque pour ses «perpétrateurs». Malgré une circulaire ministérielle qui l'interdit, elle est rapportée régulièrement par la presse et particulièrement les cas les plus graves. Mais il ne faut pas oublier la violence verbale et psychologique, commune et insidieuse, car elle détruit l'enfant dans son estime de soi et va compromettre son investissement dans l'école et les apprentissages scolaires. Si la violence est aussi commune, sans vouloir généraliser à tous les établissements bien sûr, cela signifie que l'école n'est plus le lieu de savoir et de formation des générations où l'acquisition des apprentissages, de la réflexion, du goût pour la connaissance et la curiosité intellectuelle sont initiés et valorisés. Est-ce que le recours à cette violence est un signe d'impuissance mettant en cause la formation de l'enseignant? La violence est toujours le recours le plus aisé quand un individu est dans l'incapacité de gérer une situation. La formation de l'enseignant est un des facteurs, les conditions de travail en sont un autre, mais cela ne recouvre pas uniquement l'aspect technique, il s'agit plus de la définition du projet de l'école: veut-on valoriser l'intelligence, l'imagination, la créativité, le sens de l'observation, et le travail, ou bien aligner des chiffres et des taux de réussite ou de passage qui cachent un grand désarroi, aussi bien des enfants que des parents mais aussi du personnel de l'enseignement? Quelle est la part de responsabilité des parents et quelles recommandations juridiques préconisez- vous, Mme Djerbal, pour que recule cette violence? Les parents sont responsables de la sécurité de leurs enfants, ils sont les premiers concernés par toute maltraitance en milieu scolaire (ou ailleurs), et doivent immédiatement contacter les responsables de l'établissement, et déposer plainte si nécessaire. D'abord, les parents doivent instaurer un bon climat de communication avec leurs enfants pour que ceux-ci parlent de leur journée à l'école et des menus faits ou incidents qui ont pu se produire et les concerner. Parfois des parents préfèrent passer sous silence un incident afin, pensent-ils, que l'enseignant ne prenne pas l'enfant comme «bouc émissaire». C'est une mauvaise réaction, il vaut mieux voir l'enseignant et les responsables afin d'éclaircir le problème. Dans quelle situation se trouve un élève maltraité ou sévèrement corrigé? La maltraitance envers l'enfant a été analysée par maints spécialistes dans de nombreux ouvrages, et ses conséquences sont décrites et observables par les psychologues de l'école. Le rejet de l'école est un des aspects les plus graves avec tout ce que cela signifie pour l'avenir de l'enfant en termes de socialisation, d'exclusion scolaire, un avenir professionnel compromis, une marginalisation sociale, c'est-à-dire un risque pour tout son statut de citoyen à venir. Quel regard porte le réseau de réflexion et d'action Wassila, dont vous êtes membre, sur cette forme de violence? Dans le cadre du travail du Réseau Wassila, nous avons été confrontés à des situations de «violences sexuelles sur enfant» et nous avons rédigé un plaidoyer «Le droit de l'Enfant à la protection, plaidoyer pour le signalement des violences contre les enfants», entre autres dans le milieu scolaire, mais cela concerne toutes les maltraitances, quelles qu'elles soient. Les maltraitances doivent, obligatoirement, être signalées par les professionnels de l'école, de la santé, de tous les secteurs ayant en charge des enfants, à leur hiérarchie, qui doit prendre des mesures pour les signaler à son tour aux autorités compétentes administratives ou judiciaires. C'est l'exemple qui éduque l'enfant, plus que tous les beaux discours. Une société plus juste et équitable ne peut produire qu'une école sereine et des enfants heureux à l'école.