Le nouveau Concept entend donner à l'Otan une nouvelle mission. Le Sommet de l'Alliance atlantique, qui s'est tenu à Lisbonne les 19 et 20 novembre 2010, a adopté le nouveau Concept de l'Otan, un document important que certains assimilent au traité fondateur de l'Alliance de 1949. Au préalable, il a fallu trouver une solution entre les partisans du maintien de la dissuasion nucléaire qui considèrent la défense antimissile comme un «complément» à celle-ci et ceux favorables à l'engagement de l'Otan sur la voie de la dénucléarisation et qui considèrent la défense antimissile comme un «substitut». Cette question a opposé essentiellement la France, chef de file des premiers, et l'Allemagne qui a pris la tête des seconds. Une solution a été trouvée juste avant l'ouverture du Sommet. Par ailleurs, l'Afghanistan a tenu le haut de l'affiche. Il a fait l'objet d'un sommet en marge du Sommet. Avant d'examiner ces points, signalons que le Sommet de Lisbonne s'est tenu dans un contexte marqué par une tendance en Europe axée sur les restrictions budgétaires en matière de dépenses militaires. Ceci est de nature à creuser l'écart entre ces derniers et les Etats-Unis qui assurent déjà près des trois quarts des investissements militaires de l'Alliance. Ceci va donner lieu à des réformes complexes des structures. C'est ainsi que les agences vont passer de 14 à 3, entraînant également des réductions importantes dans les effectifs. Les économies budgétaires auxquelles les membres de l'Alliance sont contraints se traduisent également par la nécessité de diriger les investissements vers des secteurs prioritaires qui doivent être identifiés, comme par exemple: les hélicoptères de transport et les avions de transport gros porteurs (ceci permettra à l'Otan de développer sa capacité de projection; ceci implique qu'elle se situe dans une logique interventionniste et se prépare pour mener des opérations lointaines), des moyens technologiques destinés à contrer les engins explosifs improvisés ou IED qui sont appelés aussi «rodsides bombs» (ces engins artisanaux sont utilisés dans des guerres non conventionnelles qui ont supplanté les guerres classiques, ils causèrent à certains moments jusqu'à 60% des pertes des troupes de la coalition en Irak; ceci implique que l'Otan entend développer ses moyens de lutte antiterroriste), les moyens d'appui médicaux (l'année 2010 a été particulièrement meurtrière pour les troupes de l'Otan en Afghanistan). Le Concept stratégique est en général accompagné d'une Directive stratégique destinée à être utilisée dans le cadre de l'établissement des plans de défense de l'Otan. Le nouveau Concept entend donner à l'Otan une nouvelle mission. Après la Guerre froide, marquée par la chute du mur de Berlin, la fin du Pacte de Varsovie et la dislocation de l'Urss, l'Otan avait perdu sa raison d'être et certaines voix s'étaient élevées pour demander son démantèlement. Elle a trouvé provisoirement une nouvelle raison d'être à l'occasion de la crise des Balkans, puis après les attaques terroristes du 11/09/2001 et la guerre généralisée déclarée contre le terrorisme. Ceci étant, elle était à la recherche d'une nouvelle mission que les précédents Concepts stratégiques adoptés en 1991 et 1999, n'ont pas pu définir. Le Sommet de Lisbonne a adopté le nouveau Concept stratégique de l'Otan. C'est un document décennal préparé par un comité d'experts présidé par Madeleine Albright, l'ancienne secrétaire d'Etat des Etats-Unis. Il réaffirme la mission centrale qui fut à l'origine de la création de l'Alliance, soit la défense collective des Etats membres, et actualise son rôle à la lumière des nouvelles menaces apparues depuis l'adoption du précédent Concept en 1999. La révision de la liste des menaces a permis de faire émerger au premier plan de nouveaux défis tels que les attaques cybernétiques (guerre électronique) qui peuvent paralyser le fonctionnement des secteurs vitaux d'un pays donné et posent le problème de l'identification de l'agresseur, le terrorisme qui s'est imposé dans l'environnement sécuritaire de l'après 11/09/2001 et contre lequel une guerre généralisée a été déclarée par les Etats-Unis, la piraterie qui rend peu sûres certaines voies navigables stratégiques, la prolifération balistique qui rend vulnérables certaines régions protégées par l'Otan, la prolifération nucléaire qui est considérée comme une menace sérieuse en rapport avec des pays comme la Corée du Nord et l'Iran, la sécurité énergétique qui a donné lieu à une réunion entre les Etats-Unis et l'Europe la veille du Sommet. Dans le nouveau Concept, la dissuasion nucléaire garde une place prépondérante dans la stratégie de l'Otan (les documents de l'Otan traitent explicitement du recours à l'arme nucléaire dès 1954 et de la doctrine de «représailles massives» dès 1957). Malgré l'évolution des doctrines militaires, les réflexes de la Guerre froide persistent. Il a été aussi décidé de mettre en place une défense antimissile qui serait capable de contrer tous les missiles d'ici à 2020. Ces deux questions ont divisé les pays européens. Certains, comme la France, mais aussi la Grande-Bretagne et les anciens pays du bloc soviétique devenus membres de l'Otan, veulent préserver la dissuasion nucléaire et voient dans la défense antimissile un «complément» à celle-ci. D'autre, comme l'Allemagne et certains pays qui abritent les missiles tactiques américains (ils demandent le retrait desdites armes qu'ils considèrent comme une survivance inutile de la Guerre froide) estiment que la défense antimissile suffit à la protection de l'Europe (surtout si la Russie décidait d'y participer). Le nouveau Concept vise à conforter l'Otan dans un rôle planétaire et à en faire la seule puissance globale dans le monde au service des seuls intérêts occidentaux. A cette fin, l'Otan sera dotée de capacités expéditionnaires ayant pour vocation d'intervenir dans n'importe quel point du globe, en dehors donc des limites de la zone du Traité de l'Alliance, pour faire face aux nouvelles menaces (protéger les voies navigables ou les canalisations de transport des hydrocarbures-sécurité énergétique de l'Occident, par exemple). La défense antimissile et la coopération entre l'Otan et la Russie Il faut rappeler que c'est au Sommet d'Istanbul, en 2001, que l'Otan a pris la décision d'accélérer la mise en place d'un système de défense antimissile de théâtre (pour contrer les missiles d'une portée de moins de 3000 km). Ce système devrait être opérationnel et livré à l'Organisation à la fin 2010. Au Sommet de Prague, en 2002, l'Alliance a lancé une étude de faisabilité pour la mise en place d'une défense antimissile globale capable de contrer tous les types de missiles et de protéger les troupes, mais aussi les territoires et les populations des pays membres. C'est l'établissement d'une telle défense ou bouclier, comme on l'appelle communément, qui a été approuvée par le Sommet de Lisbonne. Le souhait de l'Otan d'y associer la Russie est ancien puisqu'une étude a été lancée dès 2003, sous l'égide du Conseil Otan-Russie (COR) pour évaluer les possibilités d'opérabilité des systèmes de défense contre les missiles de théâtre des Etats membres de l'Alliance et de la Russie. Des exercices ont été effectués à cette fin entre 2004 et 2008 date à laquelle Moscou et l'Otan ont interrompu leur coopération à la suite de la crise géorgienne. La décision du Sommet de Lisbonne porte sur l'établissement d'une défense antimissile territoriale qui a une autre dimension. Elle inquiète la Russie car elle pourrait nuire à sa dissuasion nucléaire. Les discussions Otan-Russie sur cette défense ont commencé en mai 2010 à Sofia. Au Sommet franco-germano-russe de Deauville, le 19 octobre dernier, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont réussi à convaincre Medvedev à prendre part au Sommet de Lisbonne. Sa présence a permis la reprise du dialogue au Sommet entre l'Otan et la Russie interrompu depuis la crise de Géorgie de l'été 2008. Ceci étant, l'approche coopérative de l'Alliance ne rencontre pas encore l'agrément de la Russie qui a plusieurs griefs à faire valoir, notamment la portée du bouclier qui est jugée disproportionnée par rapport aux menaces supposées. Avec la participation ou non de la Russie, le bouclier scellera la fin d'une défense européenne autonome. Celle-ci fut portée par l'Allemagne et la France depuis les années 90 sans enregistrer de résultats tangibles. Le récent accord franco-britannique sur la mutualisation des moyens de défense, y compris dans le domaine nucléaire, a rapproché Paris de l'axe américano-britannique. Par ailleurs, l'Allemagne et la France défendent des approches divergentes en matière de désarmement nucléaire et de bouclier antimissile. Pour revenir à la Russie, on peut dire que ce pays est désormais un allié objectif dans plusieurs dossiers comme la lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue, les cyber-attaques ou la prolifération des armes nucléaires. Dans l'immédiat, l'Otan cherche à transformer la Russie en partenaire en Afghanistan. Elle est ainsi sollicitée pour faciliter à l'Organisation, un transit étendu vers et hors de ce pays. Une telle coopération serait hautement appréciée dans la mesure où elle soulagerait l'Alliance durant la période de retrait des troupes d'Afghanistan qui va s'étaler sur plusieurs années, d'autant plus que la voie vers l'Iran est condamnée et celle vers le Pakistan est aléatoire en raison des attaques des taliban. L'Afghanistan et le syndrome du Vietnam Une réunion sur l'Afghanistan regroupant les 48 pays participant à l'Isaf s'est tenue en marge du Conseil de l'Otan le 19 novembre 2010. Auteur désigné de la demande de retrait des troupes de l'Isaf, le président Karzaï a fait le déplacement à Lisbonne. Parmi les participants, on note aussi la présence du Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, et du président de la Banque Mondiale, Robert Zoellick. Les deux organisations seront sollicitées pour accompagner l'Otan dans la mise en oeuvre du plan de retrait qui comporte une partie civile et le développement de l'Afghanistan. Il y a également le Japon qui est un grand donateur pour le financement du programme de formation de la police afghane. Le retrait des troupes de l'Isaf commencera durant le premier semestre 2011 (les Américains commencent le retrait de leurs troupes en juillet, mais lesquelles? Celles agissant sous le chapeau de l'Otan ou celles engagées directement sous la bannière étoilée?) pour prendre fin en 2014. Le retrait de l'Isaf est devenu incontournable pour plusieurs raisons: l'absence de résultats tangibles depuis une dizaine d'années, la peur de connaître un enlisement qui serait une réédition de la guerre du Vietnam, certains Etats contributeurs - membres et non membres de l'Otan - ont déjà annoncé le retrait de leurs troupes sous la pression de l'opinion publique, le fardeau financier devenu de plus en plus lourd dans une conjoncture de crise économico-financière qui semble jouer les prolongations, la décision de rechercher une solution politique à travers un dialogue entre Afghans (Elle se heurte au refus des taliban qui posent comme préalable à toute discussion le retrait des troupes de l'Otan du territoire national). Les deux parties resteront liées par un partenariat sur le long terme, au-delà de la période de combat qui pourrait se prolonger dans certaines provinces et nécessiter la présence des troupes de l'Otan après 2014 qui constitue un objectif et non une date butoir. En conclusion, on peut soutenir que l'atlantisme a triomphé et a même gagné un nouvel adepte: la France. Les partisans d'un monde dénucléarisé devront encore déchanter. La coopération Otan-Russie connaît quelques frémissements qui demandent à être confirmés. La route demeure longue et périlleuse même si les deux parties ont intérêt à coopérer et coopèrent dans plusieurs domaines. Les pays du Sud sont les grands oubliés. Or, ils doivent être convaincus que l'Otan est autre chose que le règne de la terreur à travers le massacre de civils dans des frappes qualifiées de chirurgicales ou l'utilisation d'armes prohibées comme les bombes à uranium appauvri ou à fragmentations qui causent des dommages irréversibles aux populations. Que l'Otan n'est pas aussi l'intolérance intégrale contre tout ce qui s'oppose aux valeurs ou aux intérêts de l'Occident qu'elle défend par la force brutale en faisant fi des institutions de l'ONU, mettant en péril le système de sécurité collectif créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. (*) Ancien ambassadeur