La Côte d'Ivoire était, vendredi soir, à la croisée des chemins avec deux «présidents» rivaux, le sortant Laurent Gbagbo proclamé président par le Conseil constitutionnel et Alassane Ouattara, reconnu par l'ONU comme légitimement élu. Le Premier ministre ivoirien, Guillaume Soro, a annoncé hier qu'il reconnaissait Alassane Ouattara comme président, et qu'il allait lui remettre la démission de son gouvernement, alors que Laurent Gbagbo était sur le point d'être investi chef de l'Etat. «Nous reconnaissons que M.Alassane Ouattara est le vainqueur de cette élection», a-t-il déclaré devant la presse à Abidjan. «J'ai décidé d'aller lui rendre la démission de mon gouvernement et ma démission en tant que Premier ministre», a-t-il ajouté. M.Soro a jugé «injuste et inacceptable» la décision du Conseil constitutionnel de proclamer M.Gbagbo vainqueur en invalidant les résultats de la commission électorale qui donnaient son rival en tête. «Notre position est de soutenir la proclamation faite par la Commission électorale indépendante et la ´´certification´´ (validation, Ndlr) faite par les Nations unies», a-t-il ajouté. En effet, le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, l'UE, la France et les Etats-Unis ont, tour à tour, félicité M.Ouattara «pour sa victoire». Ils ont demandé à M. Gbagbo de reconnaître sa défaite et de partir. Mais au pouvoir depuis 2000, Laurent Gbagbo a été investi hier, «président de la République». Selon la télévision publique, les chefs militaires du pays ont fait allégeance au «nouveau» président dans la journée. «Nous sommes prêts à accomplir toutes les missions» qu'il nous confiera, a déclaré le chef d'état-major, le général Philippe Mangou. M.Gbagbo a été proclamé président par le Conseil constitutionnel avec 51,45% des suffrages au second tour, le 28 novembre, contre 48,55% à son rival. Le président du Conseil Paul Yao N'dré, l'un de ses proches, a invalidé les résultats provisoires donnés jeudi par la Commission électorale indépendante (CEI), qui créditaient l'ex-Premier ministre Alassane Ouattara d'une large victoire: 54,1% contre 45,9%. Il l'a fait en «annulant» les votes dans une série de départements du nord, sous contrôle de l'ex-rébellion des Forces nouvelles (FN) depuis le putsch manqué de 2002, où selon le camp Gbagbo, le scrutin avait été «frauduleux». Le représentant de l'ONU en Côte d'Ivoire, Youn-jin Choi, l'a contredit. Il a assuré que le scrutin s'était «globalement déroulé dans une atmosphère démocratique» et que même si toutes les réclamations déposées par les pro-Gbagbo dans le nord étaient prises en compte, le résultat de la CEI «ne changerait pas». La présidence ivoirienne n'a pas tardé à menacer d'expulsion le fonctionnaire onusien: «M.Choi se croit au-dessus du Conseil constitutionnel», a tonné Alcide Djédjé, conseiller de M.Gbagbo et ambassadeur ivoirien aux Nations unies, l'accusant d'être «un agent de déstabilisation» encourageant aux «violences». Mais le chef des Nations unies, Ban Ki-moon, a reconnu M.Ouattara comme vainqueur légitime, demandant «au président élu de travailler pour une paix durable, la stabilité et la réconciliation en Côte d'Ivoire». Les quinze pays du Conseil de sécurité de l'ONU n'avaient cependant pas réussi à se mettre d'accord vendredi sur une déclaration conjointe sur la présidentielle en Côte d'Ivoire, qui devrait intervenir hier ou demain, a indiqué un diplomate onusien. Fort de ces soutiens, M.Ouattara, ex-vice-président du Fonds monétaire international (FMI) âgé de 68 ans, s'est présenté comme «le président élu de la République de Côte d'Ivoire». Le chef des FN, Guillaume Soro, Premier ministre depuis l'accord de paix de 2007, lui, a aussi apporté son appui. Le président des Etats-Unis, Barack Obama, a félicité M.Ouattara «pour sa victoire» et appelé Laurent Gbagbo à «reconnaître et respecter» ce résultat. «La Côte d'Ivoire est désormais à la croisée des chemins», a-t-il souligné. Après le chef de la diplomatie de l'Union européenne, Catherine Ashton, le président français, Nicolas Sarkozy, a aussi demandé à M.Gbagbo de «respecter la volonté du peuple» et adressé «ses voeux chaleureux de plein succès» au «président élu» Alassane Ouattara. En Côte d'Ivoire comme à l'étranger, beaucoup craignaient une explosion de violence après deux semaines de fortes tensions marquées par une série d'affrontements sanglants. Des partisans d'Alassane Ouattara ont dressé des barricades jusqu'au cessez-le-feu nocturne et brûlé des pneus dans des quartiers populaires d'Abidjan, pour protester contre la proclamation de la victoire de Laurent Gbagbo. «On nous vole notre victoire!», criait l'un d'eux. Mais à Yopougon (ouest), fief du chef de l'Etat sortant, ses inconditionnels ont exulté aux cris de «Gbagbo président». Elu en 2000 à l'issue d'un scrutin controversé dont avaient été exclus l'ex-président Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo était resté au pouvoir en 2005 après la fin de son mandat, en invoquant la crise née de la partition du pays.