De nombreux arabes sunnites irakiens déçus par les résultats des tractations politiques envisagent de suivre le modèle kurde pour créer leur propre région autonome, et contrebalancer ainsi un pouvoir qu'ils jugent confisqué par les chiites. Après des mois de négociations, le Premier ministre sortant, Nouri al-Maliki, chef de file d'une vaste coalition chiite, a finalement été chargé fin novembre de former le prochain gouvernement, ce qu'a longtemps convoité un autre chiite, Iyad Allawi, qui a réalisé un bon score aux élections du 7 mars à la faveur du soutien massif des sunnites. «Que les Kurdes prennent le Nord et les chiites le Sud! Ils n'ont qu'à choisir leurs représentants, ce n'est pas notre affaire», déclare Ahmed Dhiyab al-Joubouri, imam de la mosquée Abdoul Rahman de Mouqdadiya, dans la province de Diyala (centre), dont la population est majoritairement sunnite. «Au Kurdistan, ils ont leur propre budget. Les chiites, eux, occupent le gouvernement central», dénonce-t-il. «Nous, nous n'obtenons rien, à part les raids des forces de sécurité et les arrestations». Minoritaires dans le pays, les sunnites, qui ont dominé l'Irak de sa création en 1920 jusqu'à la chute de Saddam Hussein en 2003, avaient largement boycotté les législatives de 2005. Cette année, les électeurs sunnites ont fortement soutenu la liste laïque Iraqiya de M.Allawi. Mais c'est M.Maliki qui a pu forger la plus vaste coalition parlementaire. «Nous avons voté pour Iraqiya pour enrayer la campagne de marginalisation contre les arabes sunnites», affirme Talal Abdoul Karim Hussein al-Matar, chef de la tribu Albo Aswad, dans la province de Salaheddine. «Mais si le nouveau gouvernement continue comme cela, nous utiliserons la loi sur les provinces pour obtenir plus de pouvoirs». La Constitution donne le droit à plusieurs provinces de former, après référendum, une région, ce qui leur confère une part plus importante du budget, et davantage d'autonomie dans la gestion de leurs affaires internes. Pour qu'une telle consultation soit organisée, il faut recueillir l'accord de 10% de la population de la province ou du tiers des membres de son conseil provincial. Cet autonomisme constitue un tournant pour les responsables sunnites, qui avaient initialement rejeté la Constitution, lors de son vote par référendum, en raison justement de son article relatif aux régions. «A Iraqiya, nous rejetons l'idée (de l'autonomie), mais il est vrai qu'elle fait l'objet de discussions», a déclaré Abdoul Karim al-Samarrai, un député d'Iraqiya de Samarra, capitale de la province de Salaheddine. «C'est risqué, car cela peut entraîner l'éclatement du pays», a-t-il poursuivi ajoutant toutefois que «si les réformes politiques ne sont pas mises en place, les gens vont de plus en plus y réfléchir, et on ne pourra pas les ignorer». L'intérêt pour l'autonomie est cependant inégal. Si l'idée fait son chemin dans le «Triangle sunnite» (Anbar, Diyala et Salaheddine), les arabes sunnites des provinces de Kirkouk et Ninive, que se disputent Arabes et Kurdes, semblent davantage préoccupés par la querelle avec le Kurdistan que par l'influence du gouvernement central. A ce jour, la province chiite de Bassora (sud) est la seule à avoir organisé une consultation sur l'autonomie. C'était en 2008, et elle avait été rejetée. Pour le politologue, Taha Moustafa Adel, les problèmes de l'Irak pourraient pourtant être résolus par la création de régions selon les frontières ethno-confessionnelles. «Nous sommes comme des fils qui avons perdu notre père et qui nous battons pour son héritage, estime ce professeur de l'université de Diyala. «Cette dispute ne s'arrêtera que si l'héritage est justement partagé».