Etat d'art est l'intitulé d'une exposition d'une vingtaine de tableaux de l'artiste peintre Bendraou Youcef, qui se tient actuellement dans le hall de l'hôtel El-Aurassi et ce, jusqu'au 20 septembre prochain. Une vingtaine de tableaux environ ornent, en effet, les cimaises de cet hôtel offrant un voyage très attractif à l'oeil du visiteur. Peints dans différents formats et dans trois techniques différentes (huile sur carton, huile sur bois et technique mixte + collage) c'est au style abstrait qu'est allée l'inclinaison du peintre pour communiquer sa vision du monde. Pourquoi cette préférence pour l'art abstrait? A cette question, M.Bendraou nous répond: «Précisément parce qu'il paraît sans référent extrinsèque, il offre un excellent terrain d'investigation au formalisme (...) l'art abstrait oppose d'emblée à l'expression par les couleurs, le culte de la forme.» Et d'ajouter: «En adoptant le langage de l'abstraction comme moyen de locution allant même jusqu'à une approche artistique utopique, il ne saurait être question de démontrer la signification des oeuvres. Il va de soi que ce que «dit» la peinture ne peut pas être communiqué par le langage verbal. S'il en était autrement, il serait inutile de peindre». Ainsi donc, M.Bendraou nous exhorte à faire l'économie de commentaires car on ne pourrait traduire à juste titre, selon lui, la profondeur d'un tableau, le discours de sa forme... L'art de manière générale, s'adressant à «l'affect» autrement dit aux sentiments, il serait en effet vain de chercher à expliquer par la logique ce qui échappe à la raison... Mais veillant à ce qu'on comprenne ses oeuvres, l'artiste a tout de même choisi paradoxalement d'accompagner ses créations par des extraits de citations empruntes à de grands hommes de l'art moderne. Des références «solides» pour démystifier le langage ésotérique de ses tableaux. Océan est l'un d'entre eux. Il est illustré par cette phrase de Tagebücher: «Dans la grande fosse des formes gisent les ruines auxquelles on tient encore en partie. Elles fournissent matière à l'abstraction. Marécage d'éléments faux pour la formation de cristaux impurs». Certains tableaux de l'artiste sont peints dans la spontanéité comme témoigne ce giclement de couleurs jaune, bleu, rouge et noire qui inondent par leurs éclaboussures un de ces tableaux, Faux départ, notamment, incrustant sa toile de mille taches. Dans un tout autre registre, la peinture constructiviste fait son apparition avec cette profusion de formes géométriques ondulatoires, en l'occurrence qui remplissent l'espace de nombreuses oeuvres comme en témoigne ce duo de tableaux Composition géométrique I et Composition géométrique II. Comme dirait Paul Klee «l'art ne reproduit pas le visible, il rend visible», c'est à nous donc de faire abstraction de ce que l'on voit pour aller au fond des choses et arriver à «reconnaître l'objectivité de l'objet». C'est ainsi que dans la Peste, Youcef traduit cette affreuse maladie qui conduit à la déchéance humaine par l'emploi de couleurs qui inspirent à la mort, au chaos, avec un gris de poussière qui soulève un vent d'apocalypse. Dans Métamorphose, cette idée est également suggérée par un flux nuancé et débridé de couleurs chaudes allant du marron au jaune en passant par le rouge et l'ocre. Epilogue est un autre tableau qui exprime cet état de désolation formulé par des tracés, des lignes et courbes infiniment enchevêtrés... «la couleur est un moyen d'exercer une influence directe sur l'âme. La couleur est la touche. L'oeil est le marteau. L'âme est le piano aux cordes nombreuses. L'artiste est la main qui, par l'usage convenable de telle ou telle touche, met l'âme humaine en vibration». En lisant cette phrase de W.Kandinsky illustrant son tableau La ville, il est clair que notre jeune artiste attache une grande importance à la couleur. Celle-ci, nous l'avons constaté, est prédominante de manière significative dans l'ensemble de ses oeuvres. Né à Oran, M.Bendraou, M.S.Youcef est ingénieur d'application en informatique, peintre autodidacte, il a à son actif plusieurs expositions. D'abord d'ordre collectif: à Ouargla, dans le cadre de l'université d'hiver en 1994, sur les arts et traditions en Algérie à l'université d'Oran en 95. Toujours la même année, notre jeune ami exposera ses oeuvres au 1er Salon national des associations culturelles et scientifiques à caractère universitaire à l'université d'Es-Soumaâ à Blida aussi et à «Dar El Afrah». Etat d'art est la deuxième exposition individuelle du jeune Youcef après celle de 96, à la galerie Carrefour de la cité. En 95, il a obtenu le 3e prix au concours pour la préservation du patrimoine islamique et historique d'Oran et le prix en 96 de la meilleure affiche publicitaire pour la Journée nationale du moudjahid. Entre 1992 et 1997, il a réalisé plusieurs fresques et affiches publicitaires pour les associations culturelles, théâtrales, notamment et universitaires. Se voulant philosophe, M.Bendraou nous invite à travers un de ses tableaux Le rouge et le noir à réfléchir aux notions du bien et du mal. Tout semble le faire croire en tout cas. Il s'interroge: «Qu'est-ce qui éveille en l'artiste cette volonté de faire?» Amitié à l'égard du monde, agressivité aussi. La volonté de faire peut se muer en volonté de défaire car le vandale aussi laisse sa marque sur les choses. Ce désir d'un autre monde est aussi désir d'être soi... Et c'est là justement où réside toute la subtilité de la démarche artistique. Comprendre par là que défaire amène aussi à la construction, à la reconstruction de l'objet. C'est connaître nos failles pour se reconstruire et être soit. A méditer donc!