Pour passer à l'acte d'écrire, mille et une raisons peuvent influencer un individu. On peut avoir cette vocation dès le jeune âge, on peut aussi en ressentir le besoin quand un événement douloureux vient ébranler notre vie, mais aussi lorsqu'on est encouragé par les siens. Chabha Ouahès-Amellal semble en tout point de vue avoir cédé à la tentation des mots grâce à cette dernière raison. Et c'est pourquoi, en ouvrant son livre, on tombe sur les remerciements de l'auteure adressés à son frère R. qui l'a encouragée et son époux pour sa patience, sans oublier ses amies qui ont cru en elle. Le livre de 124 pages a été publié il y a un mois par les éditions Zyriab d'Alger que dirige le dynamique Nourredine Necib. Cinq nouvelles qui sentent la Kabylie, sa profondeur et sa fraîcheur mais aussi sa rudesse et son ingratitude, sont proposées au lecteur. Même les titres que l'auteur, a choisis pour ses textes sont largement évocateurs: La Voisine, Baha Mimi, Vava, mon père, Une Héroïne des années trente et Amar fils de la tribu. Le livre de Chabha Ouahès-Amellal déborde de scènes empreintes de nostalgie, rappelant la beauté de la vie en pleine campagne, en dépit de la misère parfois indicible mais qui attendrit les coeurs, comme le reflète cet extrait: «Les jours de neige, son père inspecte courageusement chaque collet. Protégé par son burnous et sa chéchia, il s'arrête devant chacun d'eux, retire la neige et remplace l'olive parfois abîmée par une nouvelle fraîchement cueillie, laquelle sera plus visible et disponible hors de la neige, pour les grives, les étourneaux, et parfois d'autres oiseaux qui viennent se nourrir de ces graines. Pour une famille nombreuse, cette chasse est une bénédiction.» C'est le chercheur et écrivain prolifique Youcef Necib, auteur, entre autres de Slimane Azem, le poète, qui préface ce recueil de nouvelles. Ce dernier précise que ces textes se réfèrent au même cadre géoculturel: le village montagnard de la première moitié du XXe siècle. Elles disent une expérience existentielle avérée, vécue par l'auteure ou parvenue jusqu'à elle par des protagonistes-relais appartenant à son environnement. Elles portent sur la fière et digne précarité d'une humanité paysanne confinée dans ses derniers retranchements par une colonisation impitoyable. «D'ailleurs, les conditions de vie de ces montagnards sont déterminées par leur ivre refus de la domination. De Boubaghla à Amirouche en passant par Mokrani, leurs pitons ont été un haut-lieu de la farouche résistance algérienne. Ces nouvelles portent sur les stigmates de la souffrance assumée de ces montagnards», souligne Youcef Necib. Ce dernier ajoute que l'auteure de ce recueil de nouvelles appartient à une famille d'aèdes talentueux qui, par-delà leur commune veine poétique, sont dépositaires avec bonheur du savoir sapiential ressortissant au patrimoine culturel immatériel de ces mêmes orgueilleuses cimes du Djurdjura. Le préfacier rappelle aussi que dans sa jeunesse, l'auteure portait le nom agnatique de sa famille élargie: Chabha Ath Mensour, tout comme son illustre frère, poète lui-même: Ramdane Ath Mensour et que sa mère était poétesse: «Il n'est jusqu'à sa lointaine cousine Fadma Ath Mensour, mère de Jean et Taos Amrouche, qui n'ait été une passeuse de poésie entre ses racines et sa progéniture.» Les nouvelles que raconte l'auteure se déroulent dans le même cadre villageois que celui de Mouloud Feraoun. C'est toujours du village Tizi Hibel dont il s'agit. «Comme Feraoun, l'auteure de ces nouvelles nous introduit dans une action romanesque captivante et une honnête description des coutumes et traditions locales. Elle peint la réalité socioculturelle objectivement avec ses hauts (courage, dignité, endurance) et ses bas comme les petitesses quotidiennes, universelles d'ailleurs, ou le statut féminin perfectible», conclut Youcef Necib dans sa présentation.