Pour son second livre, l'auteur de Discriminez- moi !, Karim Amellal, s'amuse à détourner les discours officiels, à se moquer des médias. Ce n'est plus du zapping mais un rapt du pop'art. Cités à comparaître, éditions Stock, est un voyage dans la schizophrénie. Au pays des terrorismes. Qui est donc ce terroriste que vous décrivez dans votre livre ? On ne le sait pas et il ne le sait pas lui-même ! Ça peut être tout le monde, tous ceux du moins qui vivent dans des conditions de dénuement extrême. Je voulais, dans ce livre, faire voler en éclats les innombrables préjugés qui existent lorsque l'on parle des cités, du terrorisme, des jeunes issus de l'immigration : il n'y a pas d'équation systématique. Je rejette l'idée de violence ethnique ou religieuse au même titre que l'ensemble des thèses ineptes faisant presque mécaniquement du musulman, de l'immigré ou du jeune issu de l'immigration un terroriste en puissance. Cela n'est pas la réalité. Du coup, dans mon livre, le personnage principal ignore son identité : normal, il ne sait pas qui est son père ! Ce que je pense, c'est que la religion ou l'origine n'ont rien à voir avec le fait qu'un individu, à un moment donné, renonce et s'abandonne dans une spirale d'échecs qui, parfois, peuvent le conduire à faire des choses extrêmes. Ce qui compte, c'est la façon avec laquelle le milieu, l'environnement, les conditions de vie, le béton, l'absence d'horizon sculptent une identité et la rendent explosive. Vous faites dans le pop'art, dans le détournement de la pub, de la télé, etc. Est-il difficile de vivre à contre-culture.... ? Oui, lorsque celle-ci est présentée comme une » sous-culture » sans valeur. Mais la « culture des cités », pour parler rapidement, car elle n'est pas circonscrite aux seuls quartiers défavorisés, est une « vraie » culture - si le mot vrai peut avoir un sens ici - qui se nourrit aussi bien de la culture classique, scolaire, que de la mondialisation, du métissage, de l'apport d'autres cultures et d'autres langues comme l'arabe ou le kabyle par exemple. C'est à la fois une contre-culture, dans la mesure où elle est contestataire et revendicatrice, mais aussi une para-culture qui se développe à côté des autres cultures. D'ailleurs, j'aime bien votre allusion au pop'art et je m'y retrouve complètement. La » culture des cités » qui sert de fondement à mon roman est une culture de détournement et de recomposition, une esthétique de recréation autant que de récréation. Certes, la langue parlée par les jeunes des cités peut faire peur au premier abord. Elle paraît violente, agressive, sexuellement discourtoise (c'est le moins que l'on puisse dire !). Et pourtant, derrière cette façade, elle est d'une richesse inouïe, pleine d'humour, d'images, de référents déformés et réappropriés. Elle renouvelle la langue française bien plus qu'elle ne la défigure. Votre personnage n'est pas verni. Orphelin de père, mère prostituée, vous ne lui donnez pas beaucoup de chances pour s'en sortir. Il a le choix entre tenter sa chance dans la télé réalité ou se suicider... Le personnage de mon roman représente une trajectoire extrême. Il n'a sûrement pas vocation à « représenter » tous ceux qui vivent dans un quartier difficile. Il cumule les handicaps, les « inégalités de départ » comme on dit verbeusement en sociologie. Ce que j'ai voulu faire, c'est montrer qu'il est très difficile, quasiment impossible même, lorsqu'on cumule les problèmes, de faire les bons choix. Beaucoup, aujourd'hui, disent que si les jeunes des cités ne réussissent pas, c'est parce qu'ils ne le veulent pas, parce qu'ils sont feignants ou qu'ils cèdent trop facilement aux sirènes de l'argent facile, du deal, etc. Cet argument est très faible et réducteur ! Mon intention n'est pas d'excuser, mais de comprendre. Comment un type qui n'a rien, ne possède rien, n'a personne, pas même sa mère pour lui venir en aide et lui montrer le bon chemin pourrait-il réussir, faire les bons choix ? C'est pour cela que je me suis mis dans la tête d'un type comme ça, dans sa peau aussi, pour montrer que, dans un système aussi caricaturalement darwiniste, seuls les plus forts subsistent à la fin. Or nous avons ce système-là en France, c'est celui des quartiers difficiles : un système qui produit de l'exclusion, de la rancœur, de l'humiliation et au total des trajectoires extrêmes. Un système dans lequel seules quelques exceptions surnagent, lesquelles sont mises en avant pour montrer que, finalement, tout ne va pas si mal dans le moins pire des mondes... Vous changez complètement de style avec votre nouveau livre. On est loin de Discriminez-moi !. Là, la discrimination est faite, pas positive évidemment. Après le cri de cœur, l'explosion (sociale) ? L'explosion n'est pas que dans mon livre ! Ce n'est pas une vue de l'esprit ! Nous avons assisté à une explosion en France à l'automne dernier. Celle des banlieues. Ce fut une terrible explosion qui était, du reste, complètement prévisible, mais qui a donné lieu à tant d'étonnements, d'incompréhensions que cela en devint ridicule. Je crois que beaucoup ne s'imaginent pas le sentiment qui prévaut chez beaucoup de jeunes des quartiers, issus de l'immigration ou pas car cela, une fois de plus, n'a rien à voir. Nous sommes au-delà du désespoir et au bord, sans aucun doute, d'une nouvelle explosion qui, si rien n'est réellement fait, sera bien plus dévastatrice que la précédente. Karim Amellal est-il un immigré choisi ? (Rires) Non, je ne suis pas un immigré choisi, ni un immigré tout court, d'ailleurs ! Je suis né en France d'une mère française et d'un père algérien et j'ai vécu plusieurs années en Algérie, mais je me définis comme un Franco-Algérien, fier de ces deux pays et aussi à l'aise dans l'un que dans l'autre. Je ne crois pas, comme beaucoup d'hommes politiques en ce moment, que l'immigration soit une plaie, un fardeau. Sans ses immigrés, d'hier, d'aujourd'hui ou de demain, la France ne serait pas ce qu'elle est. Ce sont eux qui ont contribué, par vagues successives, à son essor, à sa grandeur, à sa reconstruction. Ce n'est pas faire preuve d'angélisme que de dire cela, c'est une réalité historique. Et il ne faut pas que les problèmes d' « intégration » - sociaux pour la plupart - de certains jeunes nés en France de parents ou de grands-parents immigrés fassent perdre de vue cette réalité. C'est malheureusement, avec cette nouvelle loi « Sarkozy », ce qui est en train de se passer : l'immigration est présentée comme forcément « subie » ; il faudrait par conséquent y mettre un terme, ou, ce qui est une autre manière de le dire, » choisir » ceux que l'on veut. Enfin, je trouve déplacé de prélever leurs élites aux pays d'émigration, surtout des pays d'Afrique du Nord ou d'Afrique noire, alors même que nos gouvernants crient sur tous les toits qu'il faut que le continent africain se développe par lui-même. Quoiqu'il en soit, les arrière-pensées de tout cela n'échappent à personne...