Retour d'un journaliste sur les lieux d'une horrible tragédie. L'enlèvement des sept moines de Tibhirine a constitué le «grand coup médiatique» du GIA en 1995. Toutes les capitales du monde ont suivi avec intérêt et émotion le martyre des moines trappistes enlevés, menés de val en mont, de Tibhirine, Guerouaou, Tamezguida, peut-être aussi Tabaïnet et Hammam Elouane, pour être finalement décapités après deux mois de négociations politico-théologiques, dans lesquelles les services spéciaux, les diplomates et les analystes se sont totalement fourvoyés. Les circonstances de leur enlèvement, du premier contact établi par le GIA avec eux, par l'intermédiaire d' «El Khan», Sayah Attia, de leur «marchandage» et de leur mort restent autant de zones d'ombre où les interrogations se posent à longueur de lignes. C'est pour répondre à ces questions que Mohamed Balhi, journaliste de métier, a écrit son Tibhirine, l'enlèvement des moines. Livre d'érudition et d'enquête, il retrace l'histoire de Médéa, de ses habitants, l'Ordre de la Trappe, décrit avec minutie et précision le monastère de Tibhirine, ses premiers et ses derniers locataires. Il s'attarde sur le «amân» (sorte de pacte de non-agression) donné par Sayah Attia et son groupe aux moines et décrit le personnage ambigu d' «El Khan», le «Abou Younès» de la katibat de Médéa. Balhi, l'historien, retrace les faits, remonte les événements, suit le parcours sinueux des «Enfants de Dieu». Balhi, le journaliste, plante le décor: un monastère en retrait des enjeux politiques et terroristes, mais qui en subit les retombées de plein fouet. La trame du livre, «sourcé», documenté est bien menée. Mais il manque une petite touche, un petit quelque chose qui aurait fait beaucoup de bien à l'ensemble: Balhi, l'enquêteur. Car, il fallait bien mener une enquête auprès des chefs repentis du GIA de Médéa, et qui, aujourd'hui, peuvent apporter un éclairage sur le drame de Tibhirine. Ces ex-chefs de guerre sont encore en vie, et le livre aurait gagné en consistance et crédit en leur donnant la parole. L'opuscule de Ali Benhadj, publié en clandestinité en 1996, et intitulé De l'affaire des moines enlevés, retrace les faits et met la lumière sur la dérive sanglante du duo Zitouni-Zouabri à partir de septembre 1994, et dont les sept religieux français ont fait les frais. Les tâtonnements des ser-vices spéciaux français et algériens, les zones obscures et les cases blanches ont été autant de causes qui ont fait que l'affaire des moines trappistes reste à élucider, malgré l'abondante littérature qui a été écrite en France à ce sujet. Le mérite de Mohamed Balhi est surtout d'avoir entrepris l'ambitieuse et périlleuse investigation, d'avoir jeté un regard nouveau, de chercheur algérien, avec le recul qu'il fallait. Son mérite réside aussi dans le fait d'être un des rares journalistes algériens qui sait allier le travail d'académicien à celui du terrain et d'emballer le tout dans une gentillesse et une modestie exemplaires. Le livre de Balhi est de lecture facile et se lit d'un seul trait, car écrit d'une seule et même coulée de douleur.