La position géographique de l'Afghanistan, enclavée entre cinq Républiques détentrices de l'arme nucléaire dont deux islamiques, fait de la région une vraie poudrière. La première guerre américaine du nouveau millénaire n'est pas comme les autres. Une armée aussi puissante capable de dissuader n'importe quelle autre, peut-elle faire une guerre contre X, au risque de provoquer une riposte nucléaire? Les taliban ont de très bons rapports avec des éléments de l'armée pakistanaise et une large sympathie des centaines de millions de musulmans dans la région, qui refusent que l'Afghanistan soit la cible des attaques américaines. Encore faut-il que le dragon chinois ne se réveille pas du pied gauche? Le Pakistan et l'Iran ont déjà manifesté leurs appréhensions quant à une précipitation américaine, d'autant plus qu'ils essaient à tout prix de ne pas aller à contre-courant de leurs opinions publiques. D'après les derniers discours du président Bush qui a déclaré que «la guerre sera longue et sans champ de bataille limité», l'on sent que l'administration américaine partage les mêmes craintes que ses alliés. Dilemme pour Pékin, qui veut «des preuves concrètes» avant toute riposte militaire. La position de la Chine ne cache-elle pas d'autres enjeux? Tout en craignant que le régime taliban soit remplacé par un autre pro américain, Pékin garde bien l'oeil sur le conflit de Taiwan. On parle d'ores et déjà d'une éventuelle «flexibilité» dans les positions chinoises, contre une réduction de vente d'armes américaines aux Taiwanais. Le Pakistan, république islamique pour 135 millions d'habitants, est l'un des trois pays à avoir reconnu le régime des taliban. Obligé de prouver ses bonnes intentions en tant qu'allié des Etats-Unis, le régime de Mucharraf craint une riposte terroriste de la part des taliban et même de quelques éléments intégristes au sein de son armée. Les taliban y sont très bien introduits. Cet état de fait accentue les craintes de voir l'arme nucléaire aux mains des islamistes fondamentalistes. Les autorités pakistanaises font tout, actuellement, pour que Ben Laden soit livré aux Américains pour éviter la guerre. Pour la république islamique d'Iran, qui a condamné les attaques terroristes contre les Etats-Unis, le guide religieux l'ayatollah Ali Khamenei, l'homme fort du régime, s'est opposé à des éventuelles représailles US contre l'Afghanistan. «La république islamique condamne toute action militaire en Afghanistan qui aboutirait à une nouvelle catastrophe humanitaire», a-t-il déclaré au cours d'une réunion avec des religieux. Tout en exigeant des preuves, le numéro un de la révolution islamique a conclu en disant: «Si les Américains veulent accroître leur présence au Pakistan (...) les choses vont s'aggraver.» L'Iran compte plus de 70 millions d'habitants, avec une armée de 513.000 hommes dont 125.000 pasdaran (gardiens de la révolution). Quant à la Russie, qui mène une guerre contre les séparatistes musulmans, elle a montré une certaine réticence contre le choix de l'attaque militaire et considère que le plan antimissile américain a largement engendré un déséquilibre et ce, outre une présence américaine dans la région. La Russie n'a pas donné une réponse claire. L'utilisation du Turkménistan et du Tadjikistan pour les Américains risque d'éveiller les séparatistes musulmans de la République tadjike, renversés par le régime de Rakhaminov au prix d'une guerre civile qui a fait plus de 50.000 morts. Aussi les accords de paix signés en 1997, entre le gouvernement tadjik et l'armée musulmane séparatiste tiennent, d'ailleurs, à un fil. L'Inde, qui est l'un des pays les plus importants de la région, est déjà en «guerre» avec le Pakistan. Le gouvernement d'Atal Bihari Vajpayee, s'est montré très discret. Il s'est contenté de condamner l'attentat. Comptant une forte communauté musulmane, l'Inde risque gros si la région s'embrase. Fondateur du mouvement des non-alignés, l'Inde essaie, tant bien que mal, d'éviter l'éclatement d'un équilibre déjà fragile dans la région. Tout cela a donné à réfléchir à toutes les puissances du monde, en plus du risque d'un choc civilisationnel avec l'Islam, ou le recours au terrorisme nucléaire ou biologique. Tout embrasement dans la région, quelle que soit son ampleur risque de porter un changement dans la carte géostratégique du monde entier.