Quand la plus haute culture de l'homme se concilie avec la foi passionnée du mystique dans l'Islâm, le chemin de la vie est parsemé d'espérances humanistes. Le professeur Issam Noureddine Toualbi At-Thaâlibî, ancien recteur de l'université d'Alger, fait oeuvre pie de grande importance culturelle en traduisant et commentant le livre Les Joyaux éclatants dans l'exégèse du Coran, El djawahir el hiçan fi tefsi el Qur'ân (*) de l'illustre et très vénéré théologien ‘Abderrahmâne eth-Tha‘âlibî. Dans sa préface à cette traduction, Abderrazzak Guessoum, professeur de philosophie et de pensée islamique, université d'Alger, en précise à bon droit les contours en écrivant: «- [Cette traduction] contribue en premier lieu, à l'ouverture de l'esprit de la jeunesse algérienne appelée à se familiariser avec l'élite religieuse de son pays dont la mémoire fut, malencontreusement, parfois entamée par des pratiques superstitieuses parfaitement étrangères à ses enseignements. - Elle met en évidence, en deuxième lieu, l'authenticité des hadiths contenus dans la dernière partie du tafsir d'At-Thaâlibi. Le traducteur aura eu, à cet égard, le mérite de nous proposer un modèle méthodologique original pour la réalisation de manuscrits autant que pour la vérification de l'authenticité des informations.» On sait ce que représente - pour les Algériens et, à l'évidence, pour les Algérois - Sîdî ‘Abderrahmâne eth-Tha‘âlibî. Construit en 1696 par le dey El Hadj Ahmed, son sanctuaire, mitoyen de la Médersa (auj. Office national d'enseignement et de formation à distance, ex-CNEG), se trouve à la rue Mohammed Ben Cheneb (Le grand savant algérien), à l'orée ouest de la Casbah d'Alger, - cette cité était désignée autrefois par El Djazâir El-Mahmiya bi l-Lah, «la Protégée de Dieu». Les Algérois ont fait de cet homme de foi le saint patron de leur ville et ils révèrent sa mémoire en visitant son tombeau et en assistant, lors des mouâssam (des fêtes religieuses, spécialement celle du Mawlid en-Nabawî ech-charîf), à des séances de prière (des hadra) sous la direction d'un cheikh, - ces dernières années c'était parfois feu Cheikh ‘Abderrahmâne el-Djilâlî, accompagné de Sid Ahmed Serri. Pour son mysticisme et sa culture générale, Cheikh Abderrahmâne eth-Tha‘âlibî est devenu le héros sacré de la cité, le détenteur d'un message spirituel qui caractérise l'essentiel de la sainteté en Islâm. Ce Saint musulman a pour nom complet: Abou Zaïd ‘Abderrahmâne ben Mohammed ben Makhloûf eth-Tha‘âlibî (le traducteur, nous en donne le détail de sa généalogie qui «remonte à Sidna Jâfar»). Il appartient à la grande fraction des Tha‘âliba dont certains, venus de Oued Yasser, se sont installés dans la Mitidja puis quelques-uns à Alger, où il est né vers l'an 1384 (ou 1383?); il y décédera en 1474 (ou 1470?). Il «s'initie très jeune au Coran, à l'histoire et aux sciences de la religion. À l'âge de quinze ans, il rejoignit avec son père la ville de Béjaïa où, celui-ci décéda. Il y demeura sept ans et eut l'occasion d'y côtoyer les plus grands disciples du célèbre Abderrah-mane El-Waghlissi tels que Abû El-Huceïn El-Mungalati.» Il parfait ses études grâce à de nombreux voyages, à des rencontres fructueuses et à des études approfondies de science et de piété sous la direction de maîtres éminents à Tunis, au Caire, à Mekka, dans d'autres grandes villes de l'Islâm...Bardé de parchemins, ayant occupé de hautes fonctions religieuses à l'étranger, il rentre, en Algérie où il enseigne quelque temps puis il repart à Tunis. Enfin, renonçant à ses longues pérégrinations d'étude et d'expérience, il regagne Alger, en 1414, pour se consacrer à l'instruction de ses concitoyens et bientôt à l'écriture, en 1429, de son ouvrage El-Djawâhir. Sa réputation de grand savant s'étend dans tout le pays et dans le monde musulman. Ses manuscrits sont nombreux, une trentaine ou plus, mais beaucoup sont perdus. Il a été publié de lui un grand commentaire du Coran, Tafsîr el-Qour'ân, un recueil de traditions et de méditations édifiantes sur l'Autre Monde, El-Djawâhir, Les Joyaux, et un ouvrage d'un mysticisme étonnant par ses «Visions», Les hautes sciences, El ‘Ouloûm el-fâkhira, où il développe largement sa pensée sur le soufisme. C'est âgé de près de 90 ans qu'il décède à Alger, soit (écrit Georges Marçais, par ailleurs) «une quarantaine d'années avant la fondation du pouvoir turc en Algérie, ainsi qu'il résulte d'une inscription placée au-dessus de sa châsse (tâboût)» À ce propos, l'auteur Issam Toualbi nous donne de nombreux détails caractérisant «la lettre et l'esprit» de l'oeuvre de Abderrahmâne Eth-Tha‘âlibî et c'est d'autant émouvant et crédible que Toualbi éprouve l'envie de nous faire partager le sentiment profond d'une fidélité studieuse à l'ancêtre. C'est sans doute pourquoi la traduction in extenso de l'oeuvre en question est claire, c'est-à-dire directement accessible au sens du message originel de notre immense théologien qui ne s'est refusé aucune audace intellectuelle pour élaborer son exégèse à la fois personnelle et largement inspirée de l'exégèse traditionnelle, tout en s'imprégnant des analyses faisant autorité telles que celles d'Ibn ‘Atyyat, de l'Andalou Ibn El-Arabî ou de l'école du Maître soufi Abou el Haçan Es-Shadhûlî, par exemple. La réussite, en dépit d'une méthodologie qui pourrait paraître «trop personnelle» (et, en ce qui me concerne, je la salue!) est évidente aux yeux de tous ceux qui s'intéressent à la découverte, à la redécouverte, à la promotion nouvelle des oeuvres méconnues ou oubliées de nos penseurs, nos anciens et nos contemporains. L'élite algérienne, dans tous les domaines de la vie de la nation, a besoin, à l'instar de toutes les nations du monde civilisé, d'une honnête chiquenaude, d'où qu'elle vienne, pour se construire, pour s'affirmer, pour avancer librement, sans exclusive. Au demeurant, eu égard au travail considérable de Issam Toualbi sur une oeuvre grandiose, volumineuse et difficile, El-Djawâhir, et s'agissant de traduire et de commenter abondamment L'Exégèse du Coran par le Cheikh Abderrahmâne eth-Tha‘âlibî, un ‘âlim parmi les ‘oulamâ' religieux les plus illustres en pays d'Islâm, l'effort de ce chercheur est méritoire. Néanmoins, cette traduction française appelle, à mon sens, une révision scientifique bien fine et homogène de la transcription des termes arabes, une biographie de l'auteur plus approfondie expliquant son immense personnalité et ses activités et surtout un allègement du style et du mode de pensée souvent trop près de la langue d'origine sans vraiment en dégager toute la substantielle moelle attendue. (*) Les Joyaux éclatants dans l'exégèse du Coran El djawahir el hiçan fi tefsîr el qur'ân de Cheikh Abderrahmane At-Thaâlibi, traduction et commentaires: Issam Toualbi, Casbah Editions, Alger, 2010, 234 pages.