Lutte pour l'accès à l'eau, soif de pétrole, rivalité tribale historique, radicalisation des esprits: la région contestée d'Abyei a tous les ingrédients d'un cocktail explosif à la frontière du Nord et du Sud-Soudan. L'accord de paix ayant mis fin en 2005 à plus de deux décennies de guerre civile entre le Nord et le Sud prévoyait la tenue «simultanément» de deux référendums le 9 janvier 2011, l'un sur l'indépendance du Sud-Soudan, l'autre sur le rattachement d'Abyei au Nord ou au Sud. Le premier scrutin doit avoir lieu dimanche, mais le second a été renvoyé aux calendes grecques, les ex-rebelles du Mouvement populaire de libération du Soudan (Splm, Sud) et la tribu Dinka Ngok d'un côté, les Arabes Misseriya et le Parti du congrès national (NCP, Nord) de l'autre, n'ayant pas réussi à s'entendre sur le droit de vote des électeurs. En fait, des divergences demeurent sur la délimitation de la région d'Abyei. Après la guerre civile, Nordistes et Sudistes avaient mis sur pied une commission afin de délimiter les frontières d'Abyei, mais les travaux de celle-ci n'ont pas fait consensus. A la suite de combats meurtriers en mai 2008 à Abyei, les deux parties ont porté leur différend à la Cour permanente d'arbitrage de La Haye. Celle-ci a réduit la région d'Abyei à un domaine d'environ 10.000 km² habité principalement par les Sudistes Dinka Ngok et exclu de ce territoire les précieux puits du bassin pétrolifère de Heglig qui ont échoué du côté nord de la frontière. La décision a été acceptée par le Splm à la tête du Sud-Soudan, les Dinka Ngok, et le NCP au pouvoir à Khartoum, qui rêvait de faire main basse sur le trésor pétrolier, mais a été rejetée par les Misseriya, tribu ayant combattu pour les Nordistes pendant la guerre civile. Le NCP est par la suite revenu sur sa décision et a soutenu, avec plus ou moins de convictions, les revendications des Misseriya. Cette tribu arabe nordiste migre chaque année pendant la saison sèche vers le Bahr al-Arab - la rivière Kiir pour les Sudistes - en quête de pâturage pour leur bétail, avant de s'enfoncer en territoire sudiste. Or, cette rivière serpente Abyei. Et puisque la loi référendaire accorde le droit de vote aux Dinka Ngok, mais pas aux Misseriya, ceux-ci craignaient de perdre l'accès à la rivière en cas de rattachement d'Abyei au Sud. Des négociations entre Splm, NCP, Dinka Ngok et Misseriya, sous les auspices des Etats-Unis et de l'Union africaine, ont tenté de dénouer le problème, en vain. «Les deux camps se radicalisent», souligne un analyste. La crise d'Abyei témoigne en fait des difficultés liées à la démarcation de la frontière Nord-Sud. «L'échec pour tenter de résoudre ce problème frontalier dans le cadre de l'accord de paix est révélateur. Cela a des conséquences tragiques pour la détermination de la frontière Nord-Sud, appelée à devenir une frontière internationale», résumait, récemment, le spécialiste Douglas Johnson. Car la délimitation de la frontière de plus de 2000 km entre le Nord et le Sud-Soudan n'est pas encore réglée. Outre Abyei, au moins cinq secteurs demeurent contestés. Les Misseriya, dont certains membres radicalisés ont récemment bloqué manu militari la route à des Sudistes et brièvement enlevé un employé chinois du secteur pétrolier, commencent normalement début janvier leur migration vers Abyei, date coïncidant avec le référendum au Sud-Soudan. Des responsables nordistes ont, par ailleurs, prévenus les Dinka Ngok de représailles s'ils décidaient de déclarer unilatéralement l'annexion d'Abyei au Sud-Soudan.