Hors de question pour l'Entv de passer des images des émeutes. A l'heure de la mondialisation, il est devenu presque impossible de cacher les événements et les troubles qui survenaient en Algérie et l'Entv était mise devant un fait accompli: fallait-il ou non communiquer sur ces émeutes. Un dilemme qui a été longuement discuté entre les journalistes et les responsables de l'Unique lors d'une réunion d'urgence. Il était pour eux hors de question de passer des images des émeutiers qui étaient diffusées sur les télévisions de la planète. Il était également hors de question d'en parler le mercredi ou le jeudi matin. Il fallait trouver une réponse aux images et commentaires d'Al Jazeera qui allumaient encore plus la situation en Algérie. L'instruction du ministre de la Communication, Nacer Mehal, qui promettait il y a seulement un mois une ouverture de la télévision aux problèmes de la société, n'avait plus d'effet et montrait visiblement ses limites dans l'application. La direction de l'Entv a finalement décidé de commenter ces événements le jeudi soir en diffusant les images des dégâts survenus au concessionnaire Renault. Des images qui ont été suivies par des sonores de personnes qui ont dénoncé ouvertement ces troubles et surtout cette manière de s'exprimer des jeunes. Même traitement vendredi matin, quand la télévision a montré des écoles et le Sanctuaire des martyrs du 11 Décembre à Belcourt saccagé. Pour apaiser la situation et rassurer la population, le ministre du Commerce s'est exprimé à plusieurs reprises sur l'Entv, pour d'abord expliquer que la hausse des prix était internationale et ne concernait pas seulement l'Algérie et ensuite indiquer que le gouvernement va tenter de trouver une solution à même de faire baisser les prix ou de les réguler. A l'Entv, certains journalistes regrettent qu'aucun responsable n'ait voulu prendre le risque de s'exprimer. Dans pareil cas, une émission de télévision, impliquant des politiques, des experts en économie et même des journalistes, était nécessaire pour tenter de comprendre la situation. Ces experts algériens, à l'image du sociologue Nacer Djabi, de l'expert en économie Wahab Boukrouh et du journaliste Faycal Metaoui étaient en revanche très sollicités par les médias arabes et français, pour s'exprimer sur la situation. Tout en critiquant les fléaux du chômage et de la hausse des prix, ces experts algériens n'ont pas assombri l'image du pays, attribuant ses causes plutôt à une mauvaise gestion de la situation sociale et économique. Al Jazeera offre une tribune aux islamistes Nacer Djabi a même expliqué dans son analyse que ces troubles et émeutes sont devenus un sport national en Algérie, indiquant que c'est plus un jeu entre les jeunes et les forces de l'ordre, qu'une revendication politique. C'est Al Jazeera qui a fait des émeutes une révolution politique, explique un analyste politique, qualifiant l'intervention de Abassi Madani de Doha comme révolue et dépassée par le temps et la culture. Al Jazeera qui a été la première télévision arabe à faire l'écho des émeutes en Algérie a très vite lié ces événements à la volonté de changement de régime, comme elle le fait quotidiennement sur la Tunisie. Dans son émission consacrée chaque jour au Maghreb, Al Jazeera, dans un reportage de Fethi Ismaïl, s'est longtemps attardée dans une analyse au vitriol sur la situation en Algérie, avec des images d'archives, datant des émeutes d'avril 2001 et des manifestations de la Snvi à Rouiba. Un reportage a été suivi par les commentaires de trois intervenants, Ahmed Benmohamed, un islamiste déterré médiatiquement par la chaîne qatarie, le sociologue Nacer Dhabi et l'intervention inattendue de Abassi Madani. Car le vrai grand danger, c'est la tentative de récupération du mouvement de protestation des jeunes par Abassi Madani, comme ce fut le cas en 1988. Dans un message enregistré en vidéo, Abassi Madani s'est présenté comme un leader avec comme décor, une bibliothèque et le drapeau algérien. Malgré l'âge, Abassi Madani, ex-numéro 1 du parti dissous, lance un appel pour l'union et le rassemblement pour un changement politique dans le pays. Mais le message distillé par la tribune de l'intégrisme religieux, n'a pas eu d'écho auprès des jeunes, qui ne se sont pas identifiés à ce discours vieux de 20 ans. Traitement sobre des télévisions françaises Un jeune d'Alger, qui a regardé l'intervention a commenté en disant: «Ali Benhadj n'a rien fait sur place à Bab El Oued et tu veux toi, de ton palais doré au Qatar, te faire entendre». Contrairement à Al Jazeera ou Medi1 TV, les télévisions françaises ont commenté avec sobriété les événements en Algérie. Plus encore, France 2, France 3 et TF1 ont préféré reléguer cette actualité au second plan après la situation politique en Tunisie. Sur le plateau de France 3 on a essayé de trouver des similitudes entre ce qui se passe en Algérie et Tunisie, allant jusqu'à parler de révolution dans le Maghreb. Seul Canal+ et France 24 ont mis l'accent sur la situation d'émeutes en Algérie. France 24 a été, selon certaines sources, la seule télévision à avoir filmé les manifestants de Bab El Oued, le soir du mercredi. C'est notamment sa caméra qui a filmé ces jeunes cagoulés avec des sabres et des couteaux, exprimant leur colère et leur malaise. Des images qui ont été vendues ensuite à toutes les télévisions françaises et même à Al Jazeera à son bureau à Paris, car celle-ci n'a aucun contact à Alger. Pour le moment, seule France 24, qui possède un journaliste en permanence, commente les événements en Algérie toutes les 30 mn, parfois avec les mêmes images toute la journée. En France, deux événements ont volé la vedette à l'actualité algérienne: la messe des coptes et la situation politique française, visiblement très chargée ce début d'année. L'Algérie n'est pas encore leur souci et aucun Algérien n'a été invité sur le plateau de TF1 ou France 2 ou France 3 pour commenter ce qui se passe en Algérie.