Hier, les vendeurs à la sauvette se sont réappropriés les trottoirs de Bachdjerrah et de la rue de la Lyre à Alger. «Les spéculateurs et les squatteurs sont les seuls bénéficiaires», c'est ce que pensent certains citoyens au lendemain des émeutes qui ont éclaté à travers certaines régions du pays. Les mesures annoncées par l'Etat afin de rétablir l'ordre et le calme avec le retour du marché informel, en certains endroits de la capitale, confortent cette analyse. Car l'objectif des opérateurs, ceux ayant la mainmise sur l'huile et le sucre plus particulièrement, était de forcer la main au gouvernement afin qu'il supprime certaines taxes telles que la TVA et l'IBS. Une revendication très ancienne, dont ils ne s'en sont jamais cachés, du reste, et qui, selon eux, constitue l'unique solution pour préserver le pouvoir d'achat des citoyens. Or tout le monde sait que la suppression des taxes et droits de douanes ainsi que la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) et l'IBS (impôt sur les bénéfices) va occasionner un sérieux manque à gagner au Trésor public, le grand perdant dans l'affaire. Pendant ce temps, les opérateurs vont engranger les dividendes en ne payant rien à l'Etat. Ce dernier supportera seul le déficit jusqu'au 31 août. Que fera-t-on après cette date butoir? Continuera-t-on à subventionner l'huile et le sucre après le lait et la semoule pour préserver la paix sociale? Ce sont, en tout cas, les questions que se posent de nombreux observateurs qui redoutent une nouvelle guerre des prix en raison des fluctuations que connaît le marché agroalimentaire à l'échelle mondiale. En attendant, un autre problème, non moins important, refait surface et risque de provoquer de nombreux troubles si des mesures urgentes et apaisantes ne sont pas prises afin de l'éradiquer. Il s'agit du marché informel qui a fait brusquement son retour en certains endroits de la capitale. Profitant de la confusion provoquée par les émeutes et du discours pas très clair du ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales à la télévision, les vendeurs à la criée ont réinvesti la rue et ne comptent pas la quitter de sitôt, quitte à ce qu'on utilise la manière forte contre eux. Comme cela a été le cas à Bachdjarah où des échauffourées auraient éclaté entre squatteurs et agents de police, ce matin, au niveau du marché et de ses environs. A notre arrivée, tous les commerces, à l'exception des marchands de fruits et légumes, étaient fermés. Une atmosphère de peur régnait sur ce quartier chaud de la commune qui compte des milliers de jeunes chômeurs obligés de recourir à la débrouille pour subvenir aux besoins de leurs familles. Or, c'est sur la rue de la Lyre que les squatteurs semblent avoir jeté leur dévolu. Beaucoup avaient, dès hier, commencé à marquer leur terrain, parce que, selon eux, les propos de M.Daho Ould Kablia les ont rassurés. Venus de partout, ils se sont redéployés à travers toute la rue en se réappropriant les trottoirs et les rues adjacentes au grand désappointement des propriétaires de magasin qui se sont sentis abandonnés et trahis par les autorités qui ne se sont pas manifestées même lorsque certains avaient été agressés et avaient failli être blessés à l'aide d'armes blanches. «Hier, j'ai fermé à midi, alors qu'habituellement, je le fais à dix-sept heures, parce que j'ai assisté à une scène qui m'a révolté. Des jeunes âgés à peine de seize à dix-huit ans ont tenté d'agresser, à l'aide d'un couteau, un commerçant qui s'est opposé à un squatteur», nous relate un des commerçants. Notre virée nous a conduits jusqu'au marché Zoudj Aïoun. De la mosquée Ketchaoua à la mosquée Ali Bitchin en empruntant la rue Bab El Oued, des deux côtés, les vendeurs squatteurs se sont installés et vaquent tranquillement à leurs occupations. Ce retour des commerçants illégaux s'il est mal vu par ceux dont l'activité est légale, semble attirer les nombreux passants qui se sont rabattus sur ce marché considéré moins cher et plus près de leurs sous. Les prix affichés sont attractifs et on y trouve pratiquement de tout, de l'habillement à la vaisselle. La question est celle de savoir, maintenant, comment vont réagir les autorités, parmi lesquelles l'APC qui s'est déjà penchée sur le problème par le passé. Mais a-t-elle fait souvent le bon choix? Car les carrés qu'elle a accordés aux bénéficiaires auraient changé deux, voire parfois trois fois de propriétaires. A qui la faute? Peu importe. Le marché informel pose problème à tout le monde. Certes, il ne date pas d'aujourd'hui, mais ce n'est pas une raison pour l'occulter ou faire semblant de l'ignorer. C'est un marché très juteux évalué à vingt-cinq milliards de dinars qui échappent au fisc. En l'organisant et le contrôlant, l'Etat algérien aurait tout à gagner. Pour les jeunes, ce serait une véritable bouffée d'oxygène. Non seulement ils auraient la possibilité d'exercer un commerce légal, mais en plus, ils profiteraient d'une couverture sociale. Pour l'Etat, ce serait un casse-tête en moins.