Lors du débat, le réalisateur posera cette question, ô combien d'actualité: «La violence est-ce la seule façon pour se parler?» Deux êtres, deux destins mais dont la Guerre d'Algérie fera partager les mêmes rage et hargne de la guerre. Deux anciens antagonistes de la Guerre d'Algérie, vécue pour l'un comme une «lutte de libération» et pour l'autre comme «une mission de pacification». Michel Teyssot, un jeune Français appelé sous les drapeaux puis envoyé en Algérie pour «pacifier le territoire français d'outre-mer», ne voulait pas faire la guerre. Les ordres venaient d'en haut. Avec sa caméra de fortune, il fixera pour la postérité ce qui pourrait s'apparenter à des images de familles et pourtant. Des images aujourd'hui inestimables qui seront à l'origine de ce film... mais surtout de sa rencontre avec M.Salah Mekacher, originaire de la Grande Kabylie. Ce dernier était étudiant à la Médersa d'Alger, et à l'appel de l'Union générale des étudiants musulmans algériens (Ugema), le 19 mai 1956, il déserta les bancs de l'école pour rejoindre les maquis. Etant lettré, il assurera longtemps un des postes de secrétaire au PC de la Wilaya III. «Je voulais les extraire de ce passé douloureux. Souvent la guerre dénature l'homme. Ce film leur offre une tribune pour s'exprimer», dira Menad M'barek, le réalisateur (auteur, entre autres, du documentaire Au nom de Vinci) de ce film documentaire au judicieux titre: Concerto pour deux mémoires. De ce butin d'images, (les archives), Menad M'barek constituera la trame de son film qui prendra ancrage dans le face-à-face final de ces deux héros de la Guerre d'Algérie qui échangeront leurs points de vue, affronteront leurs visoins des choses pour arriver au même point: la guerre est faite de violence de toutes parts. Si l'un évoque l'opération «Bleuite», l'autre «Malouza», sans pour autant trop s'attarder là-dessus. La volonté du réalisateur était sans doute, non pas d'allumer le feu, mais d'exhumer le passé pour le transmettre à la nouvelle génération au nom du devoir de vérité. «La haine nourrit la haine, vous détestez tout le monde et radicalisez votre discours», dira un des antagonistes du film. «Ceux qui refusaient la guerre finissaient dans les hôpitaux psychiatriques», dira Michel Teyssot, noyé dans un verre d'alcool pour oublier. «Ne pas amputer la jeunesse de sa mémoire», même si «certains se comportaient comme des nazis en temps de guerre», entendons-nous. Des mots, des émotions qui ne sont pas loin de nous rappeler le roman à fleur de peau, Le Village de l'Allemand ou Le Journal des frères Schiller de Boualam Sansal qui établit une quête amère et abyssale de la vérité, même si celle-ci n'est pas toujours bonne à dire ou à entendre. Mais indispensable. Cruelle, parfois elle vous emmène vers des terrains obscurs, le suicide ou tout au mieux, à se connaître soi-même, quitte à perdre la tête et se poser cette question légitime: «Sommes-nous victimes des crimes de nos parents et grands-parents?» C'est un peu de ça que traite ce film documentaire, à un degré moindre. En fait, au-delà des conflits, Concerto pour deux mémoires se veut moins un réquisitoire contre les tortionnaires qu'un hymne à la paix et la réconciliation entre les deux peuples à condition que chacun expie sa faute à l'autre. «Questionner l'histoire c'est peut-être chercher des histoires?» se demande la voix off du film, qui n'est autre que celle de Menad M'barek lui-même. Il s'agit aussi de «tendre des embuscades à l'amnésie et construire cette mémoire». Et M.Salah Mekacher de dire, à juste titre: «Il faut restituer cette vérité à la jeunesse, sinon elle va se détourner de vous.» Notre clairvoyant personnage évoque la loi scélérate du 23 février 2005 glorifiant le colonialisme et se demander comment les deux pays puissent-ils conclure un «traité d'amitié» avec une loi qui défend l'esclavagisme. A cela, M.Michel Teyssot répondra qu'il est temps que le gouvernement français envisage cette paix pour l'avenir de nos enfants et petit-enfants. «Le film est né dès l'instant où ces deux hommes se sont rencontrés», dira le réalisateur qui posera cette question ô combien d'actualité: «La violence est-ce la seule façon pour se parler?» Et d'estimer que son film est plutôt «un hymne au dialogue». Première projection après celle dans le village de Michel Teyssot, en France et ce, devant des appelés algériens, Menad M'barek affirmera devant l'assistance du Centre culturel français d'Alger, mercredi dernier, que son documentaire avait été bien accueilli et qualifié même d'«apaisant». Un peu naïf, peut-être utopique ou idéaliste, Concerto pour deux mémoires plaide pour le rapprochement des peuples, dans un monde sans guerre ni haine. Son discours contraste avec la violence de cette guerre sans merci qui fera des milliers de victimes et dont les cicatrices entre les deux pays restent ouvertes. En témoigne la polémique autour du film Hors-la-loi de Rachid Bouchareb. Le film de Menad M'barek porte un regard humaniste sur un drame humain, tout en pudeur et sobriété. Par le truchement du Concerto n°1 de Tchaïkovski, revisité par la voix d'une chanteuse kabyle, il donne à son film un caractère universel, attendrissant. Un peu de douceur dans un monde de brutes. Nous en avons assurément, rudement besoin en ce moment...