«Voici l'histoire d'une incroyable manipulation.» Et si le pouvoir algérien était le commanditaire des attentats terroristes de 1995 à Paris? Et si le GIA, auteur de ces attentats, avait des liens de subordination avec les services de sécurité algériens? Et si le GIA était une organisation écran ? Et si finalement les autorités algériennes avaient fait planer la menace terroriste sur la France dans le but de la contraindre à les soutenir contre les islamistes radicaux après la conclusion du Contrat de Rome en 1995? C'est sur cette série de «si» que Jean-Baptiste Rivoire et Romain Icard de Canal+ ont confectionné le documentaire «Attentats à Paris, enquête sur les commanditaires», diffusé en seconde partie de soirée, lundi. «Voici l'histoire d'une incroyable manipulation.» Ainsi débute le documentaire, enquête à charge, non contradictoire, préparé depuis plus de deux ans et diffusé fort opportunément cinq jours après la condamnation de Boualem Bensaïd et Smaïn Aït Belkacem par la cour d'assises spéciale de Paris à la réclusion criminelle à perpétuité. A charge, l'enquête est en effet à sens unique. A l'exception du général-major à la retraite Khaled Nezzar, interrogé, en juillet dernier, lors du procès en diffamation intenté à l'ex-sous-lieutenant des forces spéciales algériennes Habib Souaïdia, et de l'ambassadeur d'Algérie en France, Mohamed Ghoualmi, dont les propos sont tirés d'une intervention antérieure (Le Vrai Journal de Karl Zéro, Canal +, 1998), treize témoins à charge interviennent à plusieurs reprises. Avec un temps de parole nettement supérieur à celui des deux uniques représentants à divers titres, du régime algérien. Hormis un spécialiste du ministère français de la Défense, présenté comme un fonctionnaire en exercice et intervenant sous le sceau d'un anonymat parfait (absence d'image et de profil même sous forme d'ombre, voix altérée au téléphone), douze des témoins intervenus, français et algériens, ont une caractéristique commune: ils sont tous à la retraite depuis plusieurs années. Si les témoins français sont essentiellement des spécialistes du terrorisme ou des relations internationales (fonctionnaire de la Défense française, ex-officier des Renseignements généraux, juge Alain Marsaud, aujourd'hui député UMP et ancien chef du service central de lutte contre le terrorisme au parquet de Paris jusqu'en 1989), ou encore Alain Chenal, responsable des affaires maghrébines au PS français et chargé notamment des relations avec le FFS, les témoins algériens, eux, sont: un ancien diplomate, qui a fait défection pour rejoindre l'ex-FIS à l'étranger, d'anciens militaires (services de sécurité, forces spéciales), militants du MAOL (Mouvement algérien des officiers libres) ou bien des militants de l'ex-FIS, exilés en Suisse. Sans oublier, l'ancien Premier ministre Abdelhamid Brahimi, sympathisant du FIS, qui a assisté, début août, au congrès clandestin du parti islamiste en Belgique. Intervenant de façon récurrente au cours de l'émission, les témoins algériens ne sont jamais présentés ès qualités, c'est-à-dire comme militants du MAOL ou de l'ex-FIS. C'est le cas de Mohamed-Larbi Zaâtout, ancien secrétaire d'ambassade en poste à Tripoli au moment de sa defection, Abdelhamid Brahimi, Mustapha Brahmi (groupe Dhina en Suisse), Abbes Aroua (groupe Dhina), le capitaine Hocine Ouaguenoune (présenté comme un officier de la DCSA), le capitaine Ahmed Chouchène (ancien instructeur-parachutiste), le colonel Mohamed Samraoui dit Lahbib (ancien cadre de la direction du contre-espionnage du DRS, en poste en Allemagne avant sa défection), et le colonel «Ali» (ex-officier au ministère de la Défense algérien). Concernant ce dernier, intervenant derrière l'anonymat d'une silhouette en forme d'ombre, il s'agit en toute vraisemblance du colonel Ali Baâli (porte-parole du MAOL, aujourd'hui installé aux Etats-Unis et bénéficiant de la protection des autorités fédérales). Témoins français mis à part, la plupart des témoins algériens avaient, par ailleurs, été cités à la barre par la défense de Habib Souaïdia, lors du procès intenté par Khaled Nezzar. Le verdict rendu par le tribunal dans ce procès avait d'ailleurs laissé aux historiens le soin de tirer les enseignements sur les responsabilités dans la guerre menée en Algérie contre le terrorisme islamiste. Sur le fond, le documentaire laisse clairement penser que les services de sécurité algériens n'auraient finalement pas créé le GIA, mais recruté son 7e chef, Djamel Zitouni pour en faire leur informateur. Ils l'auraient ensuite utilisé pour liquider les chefs historiques du GIA, puis pour lancer ses groupes dans des massacres barbares à grande échelle contre les civils en Algérie. Enfin et surtout, Djamel Zitouni, qui se serait désormais entouré de vrais-faux émirs du GIA, tous officiers des services spéciaux algériens, selon les réalisateurs, aurait mis en oeuvre la stratégie du pouvoir algérien visant, en exportant le terrorisme en France, à contraindre les gouvernements français successifs à mener une lutte implacable aux réseaux islamistes en France et en Europe et à maintenir un soutien sans faille au régime algérien! La thèse du documentaire est donc simple: sachant le souci des autorités françaises de sanctuariser leur territoire et ne perdant pas de vue l'accueil globalement favorable que des responsables politiques français (Alain Juppé et Philippe Léotard, alors ministres des Affaires étrangères et de la Défense) avaient réservé au Contrat de Rome, les autorités algériennes auraient commandité le détournement de l'Airbus d'Air France et les attentats de 1995. Plus extraordinaire encore, le documentaire accuse les autorités françaises de complicité passive et de n'avoir rien fait pour empêcher les attentats alors qu'elles auraient été dûment au courant des projets d'attentats plusieurs semaines avant leur exécution! Le film de Jean-Baptiste Rivoire met finalement en scène un faisceau de présomptions jamais étayées depuis 1995. Il n'apporte rien de bien nouveau, si ce n'est cette incroyable accusation portée contre les autorités françaises, complices de crimes dont leurs homologues algériennes sont les sempiternels présumés commanditaires. Aucune preuve, aucun document, aucun indice probant ne sont produits à l'appui des accusations. De même qu'on n'a pas entendu des témoignages clairs se basant sur autre chose que des accusations péremptoires ou de simples présomptions, jamais confortées. Si l'objectif était donc de contraindre les autorités françaises à soutenir encore plus le régime algérien dans sa lutte contre l'islamisme armé, pourquoi alors - question simple - la France a-t-elle refusé jusqu'ici de fournir à l'ANP les équipements opérationnels qui lui font tant défaut dans la lutte contre le GIA et le Gspc? Pourquoi a-t-elle été si avare de son soutien financier et économique alors que l'Espagne et l'Italie, par exemple, ont été de grands amis dans les moments les plus difficiles vécus par l'Algérie au cours de la décennie 90?