«C'est l'avis du public qui compte» Rezika Mokrani aurait pu être la lauréate de l'Olivier d'Or si le jury du Festival national annuel du film amazigh n'avait pas pris la décision de ne pas le décerner. Le jury lui a attribué à la place, le Prix de la mention spéciale. Rezika Mokrani a participé au Festival d'Azeffoun avec un film-documentaire historique en tamazight, intitulé Oiseau bleu, l'histoire secrète d'une guerre. Juste après la réception de son prix, Rezika Mokrani nous a accordé cette interview. L'Expression: Quel est votre sentiment en recevant ce prix? Rezika Mokrani: Ce n'est pas la première fois que je participe au Festival du film amazigh. J'avais pris part, il y a dix ans, à l'édition d'Oran, où j'ai obtenu le Prix de la meilleure interprétation. C'est vrai que ça fait toujours plaisir d'être choisie pour un prix. Ceci constitue un encouragement pour aller de l'avant et persévérer. Mais je dois dire que mon objectif principal, en réalisant ce documentaire, est que ce dernier soit vu par le public. C'est l'avis de ce dernier qui compte. Quant au prix, il s'agit plus de quelque chose de symbolique. Faire des films, est-ce une passion pour vous? Au départ, oui. Mais ce n'est plus une passion actuellement. C'est plutôt un métier. Pourquoi avez-vous choisi un thème inhérent à la guerre de Libération nationale? Je travaille sur la Wilaya III historique depuis plusieurs années. J'ai effectué des recherches sur ce sujet. Cela dit, quand je faisais mes recherches, je me suis particulièrement intéressée à l'opération Oiseau bleu. Je pense qu'il faut travailler pour préserver la mémoire avant qu'il ne soit trop tard. Personnellement, j'ai travaillé dans l'urgence. L'un des témoins qui participe dans le documentaire est décédé il y a six mois. Réaliser un documentaire vous a nécessité plusieurs déplacements, n'est-ce pas? Oui, j'ai consacré une année pour des recherches, notamment à Vincennes et à Aix-en-Provence. Je suis allée sur les traces de l'opération Oiseau bleu. Ainsi, j'ai pu interviewer des historiens, des ethnologues, des militaires du côté français. Du côté algérien, j'ai aussi rencontré plusieurs témoins ainsi que des acteurs de l'opération. Ils m'ont permis, grâce à leurs témoignages, de reconstituer cette page d'histoire. Une fois l'étape de recherche terminée, je suis passée à la réalisation. Pouvez-vous nous citer des noms de quelques témoins et de chercheurs ayant participé à votre documentaire? Je peux citer par exemple Benjamin Stora, La Coste du Jardin, Djoudi Attoumi, etc. Chacun a apporté sa touche avec son témoignage qui a abouti à la réalisation du documentaire. Je dois dire qu'établir les contacts a été une chose très difficile, mais j'ai tout de même persévéré, car j'y tenais vraiment. Comment avez-vous financé ce travail. Avez-vous reçu des subventions ou l'aide des sponsors? J'ai mis beaucoup d'argent de ma poche. En revanche, je n'ai reçu ni subvention ni sponsoring. J'ai plutôt travaillé avec la boîte MG-COM de Amrouche Mehmel. L'un des citoyens ayant assisté à la projection de votre documentaire à Azeffoun vous a reproché le fait que Abane Ramdane n'ait figuré sur l'écran à aucun moment... En 1955, Abane Ramdane, qui est une grande figure de notre guerre de Libération nationale, était en prison. Il n'a pas participé à l'opération Oiseau bleu. Pouvez-vous revenir un peu sur votre parcours dans le domaine de l'audiovisuel avant d'obtenir ce prix en tant que réalisatrice? J'ai effectué une formation dans les métiers de la scène et de l'audiovisuel à l'Institut Ismas de Bordj El Kiffan. J'ai réalisé un court métrage, Racines ou la quête de l'être. En plus du documentaire que vous avez vu, j'ai réalisé trois autres. J'ai, par ailleurs, travaillé dans plusieurs boîtes de communication à Alger. J'ai participé à la réalisation de bon nombre de reportages à la Télévision algérienne. Quel est votre avis sur le Festival annuel du film amazigh? C'est une belle rencontre. Elle permet des échanges et de nouveaux regards sur le cinéma. Grâce aux pays invités, il est aussi possible de voir ce qui se passe ailleurs. Ce festival est une fenêtre sur le cinéma. Certes, la production n'est pas suffisante. Cela est dû au manque d'encadrement des jeunes réalisateurs de la part des anciens, notamment. Les contacts avec les cinéastes sont rares, de même qu'avec les cinéphiles. Il y a aussi le fait qu'il y a des gens qui n'ont aucune relation avec le domaine et n'ayant pas fait de formation se mettent au tournage. Mais sans connaître les règles et les normes du métier de réalisateur, il est difficile de travailler. Dans beaucoup de cas, ce sont les caméscopes qui font les films à la place du réalisateur. Quels sont les problèmes que peut rencontrer un jeune réalisateur dans notre pays? D'emblée, il y a le problème de la rareté des salles de cinéma. Les réalisateurs ne bénéficient pas non plus de stages. Le fait d'être en contact avec des professionnels étrangers contribue, par exemple, à permettre de découvrir des nouveautés. Je dois dire qu'une certaine ignorance prédomine le milieu. Les réalisateurs doivent s'instruire, se former et se cultiver. Il ne faut pas hésiter à voir les professionnels pour s'enrichir. C'est tout ça qui permettra au Festival du film amazigh d'élever le niveau. Allez-vous projeter votre documentaire Oiseau bleu? Oui, je compte le faire dans les grandes villes comme Alger, Béjaïa, Tizi Ouzou, Oran, Bouira et en France. Qu'en est-il de vos projets? Je veux continuer la réalisation d'une série de films documentaires sur la Guerre d'Algérie à travers la Wilaya III historique.