Trois heures pour donner le coup d'envoi d'une campagne qui n'aura pour seul objectif que la stigmatisation de la population musulmane résidant dans l'Hexagone. Le débat très controversé sur la laïcité qui cible prioritairement l'Islam a été lancé hier. Au chapitre des dérapages verbaux qui ont tendance à stigmatiser l'Islam, Claude Guéant peut se targuer d'avoir fait autant sinon plus que son prédécesseur. Après avoir choqué en déclarant le 21 mars dernier que «le monde entier s'apprêtait à contempler à la télévision des massacres commis par le colonel Kadhafi, heureusement, le président (Nicolas Sarkozy, Ndlr) a pris la tête de la croisade pour mobiliser le Conseil de sécurité des Nations unies et puis la Ligue arabe et l'Union africaine». Il récidive et fait scandale lundi. «En 1905, il y avait très peu de musulmans en France, aujourd'hui il y en a entre 5 et 10 millions...Cet accroissement du nombre de fidèles et un certain nombre de comportements posent problème. Il est clair que les prières dans les rues choquent un certain nombre de concitoyens. Et les responsables des grandes religions ont bien conscience que ce type de pratiques leur porte préjudice», a affirmé le successeur de Brice Hortefeux à la Place Beauvau, en marge d'un déplacement à Nantes (Loire-Atlantique). «Je pense que c'est plus grave que ce qu'on a reproché à Brice Hortefeux» a estimé le président de SOS Racisme, Dominique Sopo. Le choc est retentissant! «On va voir demain (mardi, Ndlr) si les propos de Claude Guéant sont dissociables de sa fonction pour déterminer s'ils relèvent de la Cour de justice de la République (CJR) ou des juridictions classiques», a précisé l'avocat de l'association, Patrick Klugman. La France adopte une drôle de position pour remercier les populations étrangères, en particulier musulmanes, qui ont contribué non seulement à la libérer mais aussi à participer à sa reconstruction. Elle a mobilisé sans compter dans ses colonies lors des deux grandes guerres (1914-1918, 1939-1945) pour faire face à l'envahisseur allemand. Les musulmans posent-ils réellement problème pour la France pour mériter qu'ils fassent l'objet d'un débat en France? L'ingratitude des gouvernements successifs de la France envers eux frise le mépris. Et pourtant! Lorsqu'il s'est agi de défendre le drapeau tricolore au moment où le maréchal Pétain avait livré l'honneur de la France pieds et poings liés à l'Allemagne nazie, l'Hexagone n'a pas été très regardant sur la religion ou la couleur de la peau des jeunes algériens, marocains tunisiens ou sénégalais qui ont servi de chair à canon pour être libéré. Près de 200.000 soldats seront mobilisés pour combattre au sein de l'armée française alors que l'économie française sera renforcée par près de 100.000 travailleurs algériens. Le bilan sera dramatique et très lourd à la fin de ce premier conflit mondial. Selon certains chiffres, quelque 40.000 combattants d'origine algérienne y ont laissé la vie alors que l'on a compté près de 100.000 blessés. Pour faire face à sa reconstruction, la France fait appel, entre les années 1920 et 1930, à une main-d'oeuvre algérienne dont le nombre est estimé à 250.000 travailleurs. Ce mouvement des populations se poursuivra après la fin de ce que l'on a appelé la «drôle de guerre». Entre 1939-1945 des contingents de soldats marocains, tunisiens et africains ont été mobilisés à tour de bras. Des hommes jeunes, à peine sortis de l'adolescence pour bon nombre d'entre eux, qui ont servi de chair à canon et qui ont joué un rôle de premier plan pour la libération de la France. «Il est salutaire de rappeler ces vérités historiques à l'intention de mon ami C. Guéant afin de lui éviter de trop solliciter des statistiques falsifiées sur la présence des musulmans en France dans le seul but d'instrumentaliser la peur au risque de dérapages», a indiqué Abderrahmane Dahmane, président du Conseil des démocrates musulmans de France dans un communiqué parvenu hier à L'Expression. C'est à travers cette histoire dramatique et injuste, qui a lié l'empire colonial français aux populations de ses anciens territoires, qu'a pris forme la société française d'aujourd'hui. Métissée et colorée. Le débat sur la laïcité risque de l'amputer d'une partie d'elle-même. «N'ajoutons pas de la confusion dans la période trouble que nous traversons. Nous militons ensemble pour une laïcité de bonne intelligence», ont écrit les responsables religieux de France. «Il nous paraît capital, pendant cette période pré-électorale, de bien garder sereinement le cap en évitant amalgames et risques de stigmatisation» ont prévenu les représentants bouddhistes, catholiques, juifs, musulmans, orthodoxes et protestants de la Crcf, la Conférence des responsables de culte en France.