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De la douleur à la beauté
CINEMA POLONAIS
Publié dans L'Expression le 17 - 11 - 2002

Tout commence avec ce court métrage signé Roman Polanski Deux hommes et une armoire.
Ce bout de film magnifique de 1956 arrive à créer l'enchantement, un beau jour de juin 68, autour de l'écran de la cinémathèque. Autour de cet écran se retrouvent les étudiants de l'éphémère Institut du cinéma de Ben Aknoun encadrés par leurs professeurs polonais, sous la houlette de Monsieur Kamiski, à la fois professeur d'art et artiste, les cinéphiles et critiques dont la salle du 26 rue Larbi-Ben-M'hidi, représentait le refuge idéal, et les cinéastes algériens en herbe qui, déjà apprenant leur métier sur le tas, déclarèrent par la suite: «Notre école c'est la cinémathèque», et tous d'une seule voix et en un seul engagement prirent le cinéma polonais comme leur modèle et leur exemple.
Par la suite, les films arrivèrent très vite de la veine à revendre, Eroica de Andrzej Munk, Centre et diamant de Andrzj Wajda, Walkover de Jerzy Skolimowski, Mère Jeanne des anges de Jerzy Kawalerowics, Camouflage de Krzysztof Zanussi et bien d'autres encore et tous ajoutèrent à ce premier émerveillement, leur touche d'émotion et de beauté. La participation de Andrzej Wajda aux premières rencontres des ciné-clubs à Cherchell en mai 68, Wajda déjà vedette en Pologne et à l'étranger, c'est là, définitivement tous ces liens multiples et forts entre le cinéma polonais et le nôtre. Et ce n'est pas tout, la bande d'étudiants algériens en cinéma qui se retrouvèrent à Lodz, dès la fermeture malheureuse de leur institut, apportera la dimension humaine à tout cet enchevêtrement de liens et de rapports entre les artistes des deux pays. Le cinéma polonais, dès 70 devint un lieu de fréquentation magique certes, mais normal et habituel pour nous tous, et nous en voulons comme preuve supplémentaire que les multiples demandes de programmation par nos écoles et nos lycées des deux films polonais diffusés à l'époque par le CDC (Centre de diffusion cinématographique) où toutes ces institutions étaient équipées du légendaire appareil 16 mm Debris et dont le ronronnement nous était tant familier, Les cinq de la rue Barska et excusez du peu La jeunesse de Chopin tous deux d'Alexandre Ford.
D'autres exemples et faits vécus, nombreux et percutants donnent encore plus d'ampleur à ces relations cinéma algérien-cinéma polonais déjà si fortes. Est-ce un hasard, si un ami cinéaste créatif et vigilant s'est toujours méfié du «cinéma local» et qu'Andrzej Wajda dans une interview à la revue Positif et à la question: «Comment êtes-vous aussi connu et reconnu en Pologne qu'à l'étranger», répondait instinctivement: «J'ai toujours fait un effort maximum pour éviter à mes interprètes des rapports locaux» et d'ajouter: «Il n'y a pas que les étrangers qui m'intéressent, il y a surtout les jeunes qui, eux, sont étrangers aux périodes historiques dont traitent mes films.» Nous retrouvons ici, de façon à la fois plus large et plus aiguë les préoccupations des deux cinématographies pour l'éducation et la mobilisation de la jeunesse pour un apprentissage de l'histoire non falsifiée. Ces cinématographies utilisant le symbole à l'extrême et l'art cinématographique dans toutes ses nuances, nées dans des périodes difficiles pleines de douleurs et de destructions ne veulent pas oublier et tiennent à traduire le vrai, sans aucune complaisance et très souvent malgré tout et contre tous. Les difficultés économiques et financières rencontrées par les cinéastes des deux pays qui représentent en réalité la censure la plus dure ne faiblirent jamais et ne se démobilisèrent point, les années de plomb vécues par les deux pays, années de propagande et de contrôle n'effrayèrent pas les artistes qui ripostèrent en créant des unités de production autonomes en Pologne et des coopératives de production en Algérie. Rendons leur hommage. D'autres faits rassemblent les deux cinématographies: Varsovie qui comptait 800 salles de cinéma avant la Seconde Guerre mondiale et qui n'en possédait plus que quatre en 1945 et plus de 500 aujourd'hui toutes belles et accueillantes nous permet d'espérer pour notre pays, puisque de 400 salles, il ne nous en reste plus que trois et certainement et pourquoi pas une centaine très prochainement. Enfin, et c'est ce qui nous importe le plus, la dimension humaine affective et amoureuse est rendue par ces deux épisodes vécus à Alger et à Moscou:
- Durant les années 70 à Alger dans les quartiers fréquentés par les étudiants, il n'était pas rare de croiser des jeunes gens portant un blouson à la Cybulski, brillant acteur fétiche de Wajda dans Centre et diamant et sa légende rejoint ici celle d'autres monstres sacrés du cinéma qui imposèrent des lignes esthétiques à plusieurs générations dans le monde: la chemise à carreaux à la James Dean, les lunettes à la Jacques Charrier, les coupes à la Brando et même à la Guerouabi et la queue de cheval à la Bardo.
- Durant l'un des derniers festivals de Moscou que nous fréquentâmes nombreux et riches alors que le dinar valait son pesant d'or et alors qu'Olbrychski autre acteur fétiche de Wajda ne quittait jamais la table des Algériens et les poussant vers des rivages où les excès étaient possibles répondit de façon amicale à Kheiredine, naïf et subjugué: «Si tu veux me joindre, tu n'as qu'à demander Olbrychski Pologne.»
Les deux semaines du film polonais qui s'ouvrent à Alger, la première à partir du 16, programme ci-joint, et la seconde à partir du 23 en hommage à Wajda sous le titre «Le cinéma selon Wajda» nous permettront de retisser les liens et de ne plus vivre chacun chez soi avec nos nostalgies. Et pourtant et pour notre part, nous n'avons jamais cessé de fréquenter le cinéma polonais puisque des cinéastes aussi prestigieux que Polanski, Wajda, Skolimowski, Kijowski, Zulawski, devenus internationaux, nous permirent de continuer à voir et à aimer le cinéma de Pologne et de plus, et c'est la vérité, et nous le jurons, des films tels que Cul de sac, Le locataire, Le bal des vampires de Romain Polanski, Les demoiselles de Wilko et Danton de Andrzej Wajda, Deep end de Skolimowski, L'important c'est d'aimer de Zulawski ont été programmés dans les salles dites commerciales d'Alger, à l'Algéria et l'ABC entre autres et puisque ces deux salles avec le Mougar sont, aujourd'hui, restaurées, belles et accueillantes pourquoi ne pas croire qu'elles recevront bientôt, sur leurs beaux écrans blancs, de nouveaux et beaux films polonais et alors peut-être nous en aurons fini avec la douleur.


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