Ce petit bourg frontalier continue de vivre sous le coup d'une colère qui gronde depuis l'intervention musclée des policiers la veille du ramadan. Souani n'est ni un village ni une ville. C'est un entassement de maisons aux murs et aux toitures rongés par les pluies acides qui charrient les rejets de l'usine de zinc de Ghazaouet et par les vents chargés des poussières de la cimenterie de Béni Saf. En 1979, les autorités de l'époque, dans le cadre de la deuxième phase de la révolution agraire, avaient décidé la construction d'un immense bassin qui ferait office de retenues collinaires des eaux de pluie. Que d'argent englouti dans la construction de cet ouvrage qui n'a jamais vu le jour. Sur les lieux du chantier, des chèvres chétives se disputent les restes de chardon sec et des sacs en plastique que les vents ont jetés dans le coin. Ici, le chômage est devenu une fatalité qui guette tous les jeunes. Pour ne pas mourir de faim, on se dispute les miettes qui tombent de l'assiette des barons de la contrebande. «Au moment où nous nous contentons de quelques kilogrammes de pruneaux secs, de quelques pantalons, eux, c'est par semi-remorques, qu'ils travaillent au vu et au su de tout le monde», dira un jeune qui ne cache pas qu'il fait régulièrement la traversée vers le Maroc. Le jour de la descente des policiers sur Souani, les véritables contrebandiers ont échappé au contrôle. Ceux qui avaient érigé des bâches d'eau dans leurs cours et installé des réservoirs pour les remplir de carburant n'ont pas été inquiétés. «On s'est limité à persécuter les petites gens, les gros pontes n'ont pas été inquiétés», diront des habitants de Souani. La police a, certes, procédé à des saisies de véhicules aménagés pour le transport de carburant vers le Maroc, mais on soutient, parmi les habitants de Souani, que plusieurs Mercedes munies de double réservoir ont échappé à la saisie. C'est ce qui explique peut-être l'excès de zèle dont ont fait preuve certains policiers lors des perquisitions. Sur ce sujet, les langues se délient pour condamner la manière brutale avec laquelle ont été menées les opérations de fouille dans les habitations. «On avait l'impression d'avoir affaire à une armée coloniale. Les policiers ont usé de violence, d'insultes et d'humiliation, alors qu'ils pouvaient faire leur métier en ménageant l'honneur des familles», diront les habitants de Souani qui parleront même de bijoux et d'argent disparus lors des perquisitions.