On veille juste au coin pour reprendre goût à la chaleur du quartier, à ses cris, ses odeurs, ses murmures. Les soirées de la Corniche sont laissées, pendant le ramadan, aux ploucs. Les véritables Oranais reconquièrent leur ville durant ce mois sacré. On veille juste au coin pour reprendre goût à la chaleur du quartier, à ses cris, ses odeurs, ses murmures. Pour cette année, la mode est au théâtre et la direction du TRO n'a pas lésiné sur les moyens. Elle a sorti trois spectacles depuis le début du mois sacré. Louabat Ezzhar, Merra-Merra et Hama El Fayeq ont drainé un public nombreux: ceux qui adorent les planches, les curieux et ceux contraints, par le ramadan d'aller au théâtre. Ils sont venus, ils sont tous là, semblent dire les 2 Lions de la Place d'armes qui surveillent d'un regard en coin l'entrée du théâtre Abdelkader-Alloula. Pour le raï, c'est le break. Durant le ramadan, on ob-serve une pause pour repartir de plus belle après l'Aïd. Les chebs requinquent leurs cordes vocales en avalant des tonnes de sucreries. Le berrah prend un congé pour aller trouver l'inspiration dans les odeurs de la cuisine. Il est dit quelque part que c'est ça la loi, l'ordre établi et malheur à celui qui les transgresse. Des jeunes l'ont appris, il y a quelques jours, à leurs dépens. En voulant s'éclater sur les rythmes raï dans une nouvelle salle des fêtes, ils se sont retrouvés en prison. Raconter, décrire Oran, le temps d'une soirée de Ramadan, est un exercice difficile tant la ville est mouvante, changeante et bourrée de contrastes. Oran, la matinale, qui ne dort que pour mieux se réveiller, cède la place, durant le mois sacré, à une Oran faite de torpeur, qui ne se réveille qu'à l'appel du muezzin pour la rupture du jeûne. Les rues désertes qu'embaumaient les odeurs de la h'rira ou encore les galettes de pain amoureusement préparées se remplissent rapidement. Les ventres repus, l'esprit rasséréné par des volutes de tabac et quelques doses de caféine, veulent envahir les rues. Le centre-ville reprend ses couleurs. Des marées humaines envahissent ces terrasses de café, les restaurants sont transformés en dancing. On se dispute toutes les tables, on se dispute tous les espaces. Ils viennent de partout ceux qui viennent faire bombance le soir dans les rues d'Oran. La rue Larbi-Ben M'hidi, l'ex-rue d'Arzew véritable poumon de la ville, ressemble aux Champs-Elysées. Elle devient le passage obligé des hommes, des femmes, des familles, des couples...Si ailleurs les passages se font furtifs, ici on ne presse pas le pas. On se laisse aller au gré de la foule, au gré de la houle. La police en a présenté une cinquantaine de personnes à la justice pour création de lieu de débauche. Heureusement pour elles, les saints patrons de la ville savaient qu'ils ne faisaient aucun mal, qu'ils voulaient juste s'éclater que le patron de la salle avait une autorisation en bonne et due forme. Elles ont été relaxées et jurent aujourd'hui de ne plus se faire prendre. A Oran, le soir, on devient aussi le monstre asocial, arrogant et égocentrique. Si le matin on montre des signes de compassion à l'égard des SDF, des pauvres, le soir on n'a d'yeux que pour sa petite personne. On ne regarde pas autour de soi. On scrute l'horizon, la démarche assurée pour faire des va-et-vient dans le centre-ville. Très tard, aux aurores, quand le temps se fait frisquet, quand Morphée commence à vous faire du pied, on quitte la ville pour rejoindre ses pénates. La ville brisée, malmenée, jonchée de détritus et de mille et une promesses qui ne seront pas tenues est restituée aux sans-abri, aux chiens et chats errants. Quand les employés du service de la voirie donnent du balai pour redessiner l'espace des rues, les envahisseurs, derrière les fenêtres de leurs maisons, guettent l'appel du muezzin qui leur signifiera la fin d'une folie et le début d'une journée où ils doivent jeûner, se priver, penser à autrui, rager, rugir, se bagarrer pour mieux se calmer après le f'tour. C'est cela Oran et ses habitants durant le mois sacré.