En visite d´inspection à Oran, le ministre de la Justice, garde des Sceaux, Tayeb Belaïz, a déploré la faiblesse de l´instruction dans le système judiciaire algérien. Mais cela explique-t-il pour autant les errements d´une «Justice» qui donne l´impression de fonctionner par à-coups et au gré des circonstances, comme en témoignent deux décisions récentes qui n´ont pas manqué de susciter des questionnements? Ainsi, dans au moins deux affaires, «l´indépendance» proclamée de la Justice a été mise à mal. Des informations ouvertes pour les cas d´Ali Benhadj, d´une part, et de Benyoucef Mellouk, d´autre part, ont été suspendues chacune sur un mystérieux «coup de téléphone» venu «d´en haut», indique-t-on dans l´entourage des deux affaires. Pour des raisons totalement différentes, ces deux hommes avaient défrayé et défraient encore la chronique depuis de nombreuses années. Le premier, ex-numéro2 du FIS dissous, pour ses dernières déclarations sur lesquelles il avait à s´expliquer, le second, pour avoir dénoncé, dans les années 80, les magistrats faussaires ou étaient impliquées, semble-t-il, des personnalités politiques. Certes, l´instruction -nonobstant ses faiblesses signalées par le premier responsable de la Justice- devait suivre son cours. Sans entrer dans le fond de ces deux affaires, le constat à faire est qu´un simple «coup de fil» peut interrompre dans son élan l´action de la Justice réputée, par ailleurs, «indépendante». En 2004, cette même Justice s´est réunie de nuit pour invalider le 8e congrès du FLN. Le juge qui annula le congrès avait alors sobrement expliqué, propos rapportés à cette époque par la presse privée: «Je ne veux pas jouer avec le pain de mes enfants». Ce qui se passe de toute autre justification. C´est dire que le cordon ombilical qui lie le pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif n´est toujours pas coupé, pour donner à la Justice de fonctionner en toute transparence et dans l´indépendance. Or, c´est encore M.Belaïz qui soulignait, en mai 2005 en marge de l´affaire du wali de Blida, que la loi, réputée au-dessus de tous, n´a pas toujours eu à «s´appliquer comme il se devait pour protéger l´Etat de droit et la démocratie» soutenant -en référence à l´affaire sus-citée- que «nul ne peut être désormais au-dessus de la loi, il ne peut y avoir de développement, ni de démocratie, ni de crédibilité de l´Etat sans application de la loi». Et c´est effectivement l´application de la loi qui faisait, et fait, aujourd´hui comme hier, problème lorsque des interventions extra-judiciaires interfèrent dans la marche de la Justice. Et tant que le flou est maintenu sur les aptitudes de l´appareil judiciaire à traiter telle ou telle affaire, il est patent que parler de transparence et d´indépendance de la Justice relève de la gageure. Mohamed Bedjaoui, ancien président du Conseil constitutionnel, résume parfaitement cette ambivalence qui mine le fonctionnement des institutions nationales lorsqu´il affirme, répondant à une question de M.Djeghaba, à propos de l´affaire du 8e congrès, qu´ «il est parfaitement absurde d´attendre d´une institution, si haute soit-elle, dès lors qu´elle ne possède pas une compétence générale et que toutes ses attributions sont cadenassées (...), qu´elle aille redresser des dysfonctionnements ou suppléer des carences qui ont, au fil des années, affaibli notre Etat». M.Bedjaoui parle, certes, du Conseil constitutionnel, mais son analyse pertinente s´applique en réalité à toutes les institutions de l´Etat, y compris la Justice, soumises aux pressions qui souvent dénaturent et rendent inopérantes les meilleures lois. Et la Justice algérienne, toujours à la recherche de sa liberté d´action, n´échappe pas à ce dysfonctionnement. Or, ce dysfonctionnement entraîne forcément celui de toutes les autres institutions.