Il ne faut surtout pas croire, au moment où nous nous recueillons à la mémoire de nos martyrs, que les Algériens sont habités par un quelconque sentiment de haine ou de vengeance. Leur capacité de discernement n´est nullement altérée malgré toutes les souffrances. S´il est vrai que l´Etat français ne peut se soustraire et assumer toute la responsabilité des crimes commis en son nom en Algérie depuis 1830, ceci n´implique pas forcément celle de tout le peuple français. L´histoire nous enseigne que 75% d´entre eux étaient pour l´autodétermination des Algériens lors du référendum du 8 janvier 1961. Ils étaient encore plus nombreux en avril 1962, près de 91%, à approuver les Accords d´Evian qui devaient déboucher sur l´indépendance en juillet de la même année. Personne ne peut nier cette majorité de Français qui, par ses deux votes, se démarquait des partisans de l´Algérie française qui n´étaient qu´une minorité de Français de fraîche date. En réalité, cette démarcation a toujours existé dans les faits depuis 1830. Depuis le baron Victor Duperré qui était hostile à l´expédition militaire contre Alger mais qui dut, en bon soldat, accepter sa nomination de commandant de la flotte sous les ordres du comte de Bourmont, le chef du corps expéditionnaire. Ce dernier eut à se plaindre de Duperré à plusieurs reprises l´accusant de vouloir faire échouer l´invasion. De Duperré donc jusqu´au cardinal Duval (que les pieds-noirs surnommaient «Mohamed Duval») qui mourut en citoyen algérien le 30 mai 1996, en passant par Francis Jeanson et son réseau (surnommé les porteurs de valises) qui a activement aidé le FLN durant la guerre de Libération. On ne peut non plus oublier le collectif d´avocats (Jacques Vergès, Gisèle Halimi, et bien d´autres) français qui ont défendu les moudjahidine que les tribunaux français ont «jugés». La liste est encore longue. Oui, les Algériens gardent intacte leur capacité de discernement. De ce discernement que le Président de la République Abdelaziz Bouteflika n´a pas manqué de rappeler, jeudi dernier dans son discours, en précisant que «nous savons bien que nous ne pouvons pas faire porter au peuple français tout entier la responsabilité des malheurs et des souffrances qu´en son nom le colonialisme français nous a imposés». De ce discernement qui permet de garder l´espoir d´une réconciliation entre les peuples algérien et français. Bien sûr que cela exige du courage, de l´imagination, une volonté certaine et la forte conviction d´agir dans l´intérêt bien compris des deux pays. Nous n´étions pas si loin avec le projet de traité d´amitié que des nostalgiques de la colonisation (encore très actifs dans l´Hexagone) ont récemment fait capoter avec leur loi du 23 février 2005. Ce n´est qu´une bataille de perdue. Encore une direz-vous! Oui, mais l´essentiel est de ne jamais baisser les bras. Avec des hommes et des femmes épris de justice et de paix qui, s´ils se donnent la main avec sincérité et respect, la France et l´Algérie, finiront par vivre en bon voisinage. Comme cela a été le cas entre la France et l´Allemagne après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. De ce côté-ci de la Méditerranée, nous y croyons dur comme fer.