La première nuit au djebel ne ressemblait à aucune autre. Ce n'était pas parce qu'il faisait très froid et qu'il faisait également très sombre et très humide, c'était surtout parce qu'il venait, depuis le petit matin, de quitter ses parents, ses petits frères et soeurs sans avoir le moindre espoir de les revoir un jour. Il leur avait, en outre, menti puisqu'il avait déclaré qu'un emploi de préparateur en pharmacie l'attendait à Kherrata, petit village situé entre Sétif et Béjaïa. Mohammed, à peine âgé de dix-huit ans, avait, en vérité, une toute autre destination: le maquis où il devait rejoindre la glorieuse Armée de libération nationale. C'était le 1er novembre 1959...Il était caché derrière un arbre au tronc gros comme la bouche d'un puits, une mitraillette pour seule compagnie. Il avait reçu l'ordre de surveiller une route par où devait passer un convoi militaire français. Eclaireur inexpérimenté, jamais, depuis qu'il était né, il n'avait porté de burnous, ni de ces grosses godasses de soldats qui faisaient même peur aux grosses pierres. Ce soir-là, si! Désormais, Mohammed, jeune adolescent, était un djoundi, un soldat volontaire pour l'amour de sa patrie, pour la libération de son cher pays. Soudain, dans le silence obscur et triste, un léger sanglot vite réprimé, quelques larmes sans doute, mais ce n'était point par manque de courage, ni par regret... C'était seulement parce que cette nuit-là, la première au « djebel » ne ressemblait à aucune autre...Cette nuit-là n'est pas ce simple voile d'obscurité qui succède à la lumière du jour, c'est beaucoup plus que du simple noir, pour cet adolescent maquisard, c'est une immense créature informe, une gigantesque chape de chair couleur d'ébène, envahissante, silencieuse, c'est une indicible angoisse qui vous étreint, vous étouffe et vous relâche, c'est une douleur lancinante, difficile à localiser sur le corps, tant elle est étrangement douce et agréable à la fin de sa phase et juste avant de poser la pointe de sa plume sur une autre partie du corps, assez fréquemment sur le coeur et sur le cerveau...La nuit devient subitement tendre, elle l'enveloppe tout en le laissant libre de ses mouvements, elle caresse et le rassure mais l'invite au sommeil.