La Révolution fait tache d´huile en Afrique du Nord où les potentats sont réduits à compter leurs jours... Après la Tunisie et l´Egypte, qui ont ouvert la voie, c´est la Libye qui, désormais, est entrée de plain-pied dans l´engrenage de la violence. Alors que le nombre de victimes ne cesse de s´alourdir, notamment à Benghazi, d´où est partie la révolte mardi dernier, la capitale, Tripoli, jusqu´ici calme et assoupie, semble s´être réveillée et prendre la mesure de ce qui se passe depuis une semaine dans le reste du pays. L´entrée de la capitale libyenne dans la bataille, donne une autre dimension à une révolte qui prend l´ampleur d´une insurrection, marquant l´irréversibilité d´un divorce sur lequel le peuple libyen est déterminé à ne pas revenir. Toutefois, loin d´apprécier correctement la gravité de la situation induite par la révolte populaire, le pouvoir libyen semble tout aussi déterminé à s´incruster, quitte à allumer la fitna dans le pays. Les déclarations du fils du colonel Mouamar El Gueddafi, Seïf el-Islam, estimant que son pays est proche de la guerre civile, poussent de fait au crime, par l´incitation de Libyens à combattre d´autres Libyens. Quatre décennies de pouvoir absolu ont fait perdre le sens des choses au clan de la tribu des Gueddaf ed-dam (littéralement «gicleurs» de sang, ou «buveurs» de sang, comme l´expliquait complaisamment, il y a quelques années, El Gueddafi à un magazine français) qui règne sans partage sur la Libye depuis la déposition du roi Idriss 1er Senoussi de Libye en septembre 1969. De fait, la Libye, sous la direction du «Guide», est devenue un vaste caravansérail dans lequel, Mouamar El Gueddafi, s´étant affublé du titre de «pasteur» du peuple - dans son acception ancienne - s´est placé au-dessus de son peuple, comme au-dessus des lois régissant son peuple. Lois qu´il a regroupées dans son Livre Vert» avec comme aboutissement la fondation de la «Grande Jamahiriya» libyenne qui n´est pas exactement «Etat des masses» comme elle est généralement traduite. C´est plus que ça, en se voulant instaurer le pouvoir «du peuple» et dans le même temps moins que ça, dès lors que le peuple n´exerce ni ne désigne les institutions dirigeantes du pays, prérogatives relevant du seul vouloir du «Guide» appuyé sur le CGP (Comité général du peuple, dont les membres sont cooptés) et son bureau politique. La «démocratie directe» voulue par El Gueddafi, s´est révélée être un leurre où le peuple, non seulement, n´exerce aucun pouvoir, mais n´a aucun droit de regard sur ce qui se décide en son nom. La révolte des Libyens est en fait, à la mesure des frustrations subies tout au long des quarante-deux années de pouvoir de la famille et du clan El Gueddafi. Mais c´est le soutien, en forme d´arrogance et de provocation, du «Guide» libyen à son homologue tunisien, Zine El Abidine Ben Ali, poussé vers la porte de sortie par les Tunisiens, qui a fini par allumer l´étincelle de la révolte, jusqu´ici latente, parmi la population libyenne, singulièrement dans la grande métropole de Benghazi (est de la Libye) frondeuse et jamais domptée, où eurent lieu plusieurs révoltes contre El Gueddafi. Imbu de son omnipotence, El Gueddafi n´a pas pris la juste mesure du désespoir des Libyens privés de liberté, de démocratie et de tout ce à quoi aspirait une jeunesse qui ne savait que faire de son avenir. Cette désespérance explose aujourd´hui, à la figure d´un dirigeant qui a mésusé de son ascendant sur son peuple, alors que seule la peur avait freiné sa soif d´en finir avec le dictateur. La répression a ses limites, comme l´ont montré Tunis et Le Caire, et n´a jamais été la solution. Pour El Gueddafi, le temps de rendre des comptes semble arrivé alors que, en définitive, malgré tous les oukases et autres répressions le dernier mot reste et restera au seul peuple souverain. Après Ben Ali et Moubarak, El Gueddafi sait le chemin qui lui reste à emprunter: celui de la sortie.