La proposition officielle au dialogue formulée par le Président à l'égard des ârchs semble êtrel 'aboutissement d'un processus de contacts informels qui en avaient préparé le terrain. L'ensemble des observateurs s'interroge toutefois sur le timing choisi par la présidence pour distiller cette nouvelle offre de dialogue, l'entourant d'un certain cachet solennel. La réponse est certainement dans l'approche faite par Bouteflika sur les événements de Kabylie depuis le début de cette crise. Il aura fallu cinq mois avec un relatif retour au calme dans la région et une baisse notable des violences pour que le Président décide de lancer un dialogue officiel. Recherchant les voies du dialogue dans la sérénité et sans pression, comme il l'avait prononcé lors de sa visite dans le grand Sud algérien, Bouteflika a choisi cette période de reflux en Kabylie pour offrir une main tendue aux pourparlers. Il faut dire que la situation a nettement évolué depuis le déclenchement des émeutes en Kabylie. Au lieu de privilégier un dialogue direct avec l'interwilayas des ârchs, en pleine division et sans tête représentative, Bouteflika et le gouvernement se sont attelés à panser les blessures et à rétablir progressivement la situation. Une série de mesures a été entreprise. Pour l'apaisement, le gouvernement, sur instruction de Bouteflika, n'a pas poursuivi les jeunes émeutiers coupables pour certains d'actes de destructions de biens publics et privés. Pour la réhabilitation, le Président a instruit le ministère de l'Intérieur afin que les familles des victimes des événements en Kabylie soient indemnisées par l'Etat et les soins des blessés pris en charge par le ministère de la Santé. Pour ce qui est de la scolarité des jeunes Kabyles, Bouteflika a instauré une double session du baccalauréat spécialement pour les lycéens qui étaient pris en otage par une situation explosive. Pour le dossier économique, le gouvernement Benflis a adopté un plan d'urgence pour la Kabylie avec des subventions importantes pour les cinq wilayas touchées (Tizi Ouzou, Béjaïa, Boumerdès, Bouira et Sétif). Enfin, pour la vérité, le Président a installé la commission Issad qui a rendu des conclusions sans détour ou tentation politicienne qui semblent avoir satisfait la présidence qui note dans son communiqué «des faits graves et sans appel» en évoquant cette situation. Toutes ces mesures font partie des attributs du chef de l'Etat et concernent la majorité des citoyens de cette région, y compris le mouvement des ârchs. Le gouvernement ne pouvant s'embarquer dans un mano à mano avec un mouvement qui n'a pas démontré une aptitude au dialogue et à la conciliation, malgré la multiplication des contacts officieux établis par de intermédiaires autorisés. Un mois auparavant, Yazid Zerhouni avait déjà indiqué que «la sagesse est en train de l'emporter en Kabylie», signe que ces contacts pouvoir-ârchs avaient abouti à une amorce de dialogue constructif. Mais cette nouvelle offre ne saurait être, selon les observateurs, un aveu de faiblesse. Elle semble davantage motivée par des faits sécuritaires graves à la lumière des attentats américains. Gendarmerie, police et service de sécurité sont mis sous pression en Kabylie depuis des mois. Or, les nouvelles menaces du groupe salafiste de Hassan Hattab contre les intérêts américains et français en Algérie, dont la zone d'activité se situe précisément à cheval entre ces cinq wilayas, font craindre le pire. Le Gspc a profité pleinement de la vacance du terrain sécuritaire pour se redéployer à la faveur de l'agitation politique qui s'est emparée de la Kabylie. Le risque terroriste est tel que l'accès à Alger en fut facilité pour des éléments terroristes salafistes. Une préoccupation non contenue dans le communiqué de la présidence, mais qui demeure ancrée dans l'esprit des experts en matière de sécurité. Mais pour arriver à ce dialogue, Bouteflika devra certainement offrir quelques garanties. Si certains des 14 points de la plate-forme d'El-Kseur sont légitimes, d'autres demeurent insolubles dont celui du démantèlement des brigades de la Gendarmerie nationale, jugé, par des voix officielles, comme «utopique». C'est pour ces raisons que le Président Bouteflika travaille sur la question de la constitutionnalité de la langue amazighe comme il vient de le préciser lors de son déplacement à Jijel. Mais si la voie est ouverte au dialogue, les ârchs devraient d'abord régler trois points cruciaux : désigner des interlocuteurs de leur organisation horizontale, accepter de s'attabler avec le Chef du gouvernement, Ali Benflis et ne plus demander Bouteflika comme seule et unique interlocuteur, et réviser quelques points de leur copie. Ce que les ârchs ne semblent pas en mesure de faire dans l'immédiat.