Tous les observateurs attendaient les premiers mots qui allaient sortir de la bouche du Président Bouteflika. Sur un ton vif, tranchant, le Président annonce la couleur dès sa descente d'avion: «Il faut maintenant, passer de la concorde civile à la réconciliation nationale.» Ce qui veut tout dire. Plus précis, il affirme: «Nous avons fait plus que tendre la main aux éléments de l'AIS.» Ce message, qui est un clin d'oeil au mouvement des ârchs, se veut conciliant, pacifiste et unificateur. L'Algérie se fera avec tous les Algériens, sans exclusive, et ce grand chantier ouvert, le Président entend le mener à terme «à l'issue d'un dialogue avec toutes les parties», exception faite à ceux qui se sont éliminés d'eux-mêmes. En moins de vingt-quatre heures, Bouteflika lance deux messages, pour le moins inattendus, l'un à l'endroit de la Kabylie, l'autre vers tous les acteurs politiques, les islamistes, radicaux y compris. Pour inattendus que soient ces deux messages, ils le sont pour plusieurs raisons. Le mouvement des ârchs, qui a commencé à être sérieusement menacé d'implosion imminente, a été sollicité par le Président de la République lui-même. Après cinq mois de protestations et d'émeutes, qui ont pris parfois des formes d'insurrection, le Président prend en charge lui-même le dossier épineux de la Kabylie, et élimine, de fait, tous ceux qui ont misé sur le pourrissement de la situation et les retombées néfastes dont ils pouvaient tirer profit. Le deuxième point culminant de cette sortie jijelienne est, bien sûr, son message lancé aux islamistes. Les portes du dialogue restent encore ouvertes et le Président entend tendre la main à quiconque montre des signes de repentir, de faire trêve et de dialoguer. Après les attentats contre des objectifs à New York et Washington et les tambours de la guerre battus par les Etats-Unis, d'aucuns estimaient que c'en était fait de la mouvance islamiste radicale, et qu'elle ne pouvait intégrer une dynamique de dialogue politique depuis que le Président lui avait tendu une perche, au lendemain de son investiture, le 16 avril 1999, son exclusion de la scène politique légale était chose entendue. Finalement, le Président a clairement délimité l'«aire de jeu» et fait le distinguo dans ce qui semble être un imbroglio de taille. Car d'un côté, il prend en compte les spécificités d'un radicalisme algérien qui se nourrit des éléments internes à la situation nationale, et n'a, donc, aucune prétention d'agir en terre étrangère. De l'autre, il faut se mettre à l'évidence: en l'état actuel des choses, et vu l'enchevêtrement inextricable qui a caractérisé l'évolution politique intérieure, il est pratiquement impossible de déblayer le terrain et former un minimum consensuel sans l'apport de tous les Algériens, de tous les partis et mouvements politiques, sans distinction de couleur idéologique ou de tendance. L'islamisme algérien, avec tous les courants qui forment sa nébuleuse, les politiques «modérés», les radicaux, les «constitutionnels» et les «insurrectionnels», reste une réalité sociologique qu'on ne peut ignorer. Tous ces courants, qui, sous un emballage théologico-politique insaisissable, ont contribué à brouiller l'élaboration d'un schéma politique cohérent de l'Algérie, doivent intégrer le cadre de la légalité, de la constitutionnalité et du jeu politique transparent. La contestation politique au nom de l'islam séduit encore les foules. Tout comme la Kabylie est tentée par la radicalisation de ses positions. En tendant la main aux uns et aux autres, Bouteflika entend non pas uniquement venir à bout d'une crise qui s'étend et pourrit dans le temps, mais encore faire intégrer tout le monde dans un cadre qui prendrait en compte, d'abord, les priorités de l'Algérie, en tant qu'ensemble qui doit avancer. Impérativement.