Si la modernisation est associée dans son acception philosophique à la techno-science, la modernité, elle, en revanche, est liée aux sciences humaines. Auteur prolifique, chercheur émérite, Ali El-Kenz dont la réputation a dépassé les frontières a restitué, l'espace d'une conférence tenue lundi soir à la Bibliothèque d'El- Hama, toute la genèse de l'évolution du concept de modernité, particulièrement en Occident et son rapport à la sphère arabo- islamique. “On a ignoré la modernité en tant que libération”, a-t-il dit en référence au retard du monde arabo-musulman. Comme pour suggérer l'absence de liberté, sans laquelle la modernité ne prend pas tout son sens et dont les Etats en constituent les garants, Ali El-Kenz soutient que les Etats arabes n'ont pas joué “le rôle de fédérateur” qui devait leur échoir dans l'encouragement de la constitution de passerelles entre intellectuels. “Il n'y a pas de communauté intellectuelle arabe”, a-t-il affirmé. Les Arabes, ajoutent-ils encore, sont appelés à faire leur propres autocritiques, seules à même de leur conférer le pouvoir de jeter un regard critique sur l'Occident. Née au XVe siècle en Italie, à la Renaissance, la modernité a évolué notamment après la fin du monopole de l'église. Ali El-Kenz est remonté jusqu'au XIIe siècle, époque où l'Europe était encore confrontée au sous-développement, pour évoquer le voyage de l'Allemand Frederik au Moyen-Orient d'où il est revenu fasciné par la civilisation arabe. De fil en aiguille, il explique comment la recherche et la science ont évolué en Occident jusqu'au XVIIIe siècle où l'idée de l'universalité et de liberté a intégré l'espace public pour aboutir enfin, avec la séparation de la religion et de l'Etat, à la constitution des Etats-nations. Si aujourd'hui la modernité a atteint ses limites en Occident, d'où cette création de “l'ennemi qu'est l'islam” pour continuer d'exister par rapport à l'autre, Ali El-Kenz a exprimé cependant une frustration : “Ma tristesse qu'on n'ait pas construit l'UMA en tant qu'Etat-nation.” Même s'il a admis que le débat est loin d'être épuisé, le professeur de Nantes a tenu à répondre aux nombreuses questions soulevées par les présents, des étudiants, des chercheurs, des ambassadeurs et des enseignants pour l'essentiel. Karim K.