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Des retards coûteux et inquiétants
La sidérurgie algérienne (1re partie)
Publié dans Liberté le 19 - 10 - 2008

Un bilan est indispensable aujourd'hui. Avec, à la clé, des révisions… Il faudrait bien que l'Algérie défende, un jour ou l'autre, ses intérêts.
La demande interne en produits sidérurgiques est en croissance constante d'année en année, alors que la production locale basée essentiellement au complexe sidérurgique d'El-Hadjar gérée depuis 2001 par Arcelor Mittal stagne, pour ne pas dire régresse.
En 2007, la consommation d'acier en Algérie aurait atteint 4,46 millions de tonnes (t) de produits finis, selon nos propres estimations basées sur les importations (statistiques douanières) et la production locale principalement au complexe sidérurgique d'El-Hadjar.
Evaluée en acier liquide, cette consommation atteint 5 millions de t en 2007 alors que la production locale stagne a 1,1 million de t d'acier liquide par an depuis 2002, première année de la prise en charge du complexe sidérurgique d'El-Hadjar par Ispat devenu Arcelor Mittal.
La gestion d'Arcelor Mittal Steel n'a apporté aucune augmentation de la production par rapport à celle de Sider au cours des douze années précédant la privatisation. La production de l'année 2008 risque d'être en deçà de ce niveau du fait d'incidents techniques survenus dans quelques installations du complexe d'El-Hadjar.
C'est donc un déficit de l'ordre de 4 millions de t que subit notre économie au moment où les pays arabes investissent massivement dans la production sidérurgie. En effet, la production d'acier dans les pays arabes a doublé en 7 ans. Selon le rapport annuel de l'Union arabe du fer et de l'acier (Uafa), cette production est passée de 8,8 millions de t en 2000 à 17,09 millions de t en 2007. Selon le même rapport, celle-ci a enregistré une hausse de 12,7% par rapport à l'exercice 2006 qui a affiché une production de 15,16 millions de t. L'Uafa estime que ce taux de croissance de la production cumulée dans le monde arabe durant les 7 dernières années est “le plus élevé au niveau mondial”.
La consommation d'acier en Algérie suit les tendances observées depuis 1999 à travers le monde. Cependant, alors que toutes les sidérurgies ont investi massivement dans de nouvelles capacités de production ou modernisé et étendu leur potentiel de production, la production, dans notre pays, a stagné pour ne pas dire régressé.
La production mondiale d'acier liquide a presque doublé en dix années, passant de 780 millions de t à 1 420 en 2008, la production de la Chine progressant de 107 millions de t en 1998 à 520 en 2008.
Selon nos propres évaluations basées sur la croissance de la Pib nationale et de la production industrielle nationale, la consommation d'acier liquide passerait en Algérie de 5 millions de t en 2008 à plus de 11 millions de t en 2020. Il nous faut donc investir pour une capacité de production de 10 millions de t d'acier au cours des douze prochaines années pour satisfaire la demande interne en produits sidérurgiques.
Si nous évaluons aujourd'hui le coût d'une tonne d'acier liquide à 600 dollars, les 4 millions de t d'acier liquide de déficit en 2007 coûteraient 2,4 milliards de dollars, soit le coût d'investissement d'une usine sidérurgique complète basée sur la réduction directe et la technologie compacte de production d'acier et d'une capacité de 2 millions de t d'acier sur un site de 120 hectares, près d'un port avec quai à tirant d'eau profond.
Tous les pays arabes ont investi : sauf l'Algérie passée de la première place à celle de bonne dernière
Ce type d'investissement, qui compose aujourd'hui la majeure partie de la sidérurgie arabe et ses 17 millions de t, avait été proposé à nouveau, en décembre 1985, à nos autorités par le ministère de l'Industrie lourde de l'époque et avait été rejeté avec fracas par Abdelhamid Brahimi, Premier ministre à l'époque. Il faut savoir que en ces temps-là, la sidérurgie algérienne avait développé un immense potentiel technologique pour faire face aux défis futurs du développement économique et technologique : maîtrise de la production sidérurgique des trois filières, produits plats jusqu'à l'acier étamé, produits longs et tubes sans soudure, un centre de recherche métallurgique qui avait permis avec des chercheurs et métallurgistes algériens de préparer les dossiers de fabrication de toutes les gammes et nuances d'acier ainsi et surtout les recherches et essais au niveau préindustriel du traitement minier, de la réduction directe par le gaz naturel et de la métallurgie du minerai de fer des gisements de Gara Djebilet et d'Abdelaziz-Mecheri.
Ces recherches et essais métallurgiques avaient établi que ce minerai pouvait donner toutes les nuances d'acier possibles et toute forme de produits sidérurgiques après pelletisation, réduction directe au gaz naturel, fusion au four électrique et affinage au four poche. Un formidable outil de formation avait été aussi développé, l'Institut des mines et de la métallurgie de Sidi-Amar, au-dessus du complexe d'El-Hadjar qui fut intégré ou plutôt a servi de site initial à l'université d'Annaba, un institut de soudure, un centre de formation d'ingénieurs d'application pour compléter la formation des techniciens supérieurs, un centre de formation de techniciens et agents de maîtrise ainsi qu'un centre de formation d'ouvriers qualifiés.
Ce potentiel de recherche et de formation, totalement pris en en charge dans ses investissements et son fonctionnement par la SNS puis Sider, a non seulement boosté la recherche développement locale et doté la sidérurgie nationale d'un personnel bien formé, mais a aussi profité à toute l'économie nationale puisque tous les ouvriers, techniciens ou ingénieurs qui quittaient El-Hadjar trouvaient immédiatement preneurs dans tous les secteurs de l'industrie et des services. La réalisation du complexe sidérurgique a permis aussi de monter trois entreprises d'engineering Ensid, Sidem et Sersid installées respectivement à Oran, à Alger et à Annaba afin de capitaliser toutes les expériences en matière d'études et de réalisation des installations d'El-Hadjar et des usines de première transformation de produits sidérurgiques ainsi que de gaz industriels.
En outre, quatre grandes entreprises de réalisation avaient été créées et mises en œuvre par la sidérurgie algérienne pour participer à sa propre construction mais aussi pour participer aux grands projets d'infrastructures nationaux, Realsider, Genisider, Travosider et Cosider qui reste la plus grande entreprise générale de notre pays, ont été montées dès 1973 et 1974.
Sidérurgie algérienne : pas seulement El-Hadjar, mais tout un appareil conçu ex nihilo
C'est dire que la sidérurgie algérienne, ce n'était pas seulement le complexe sidérurgique d'El-Hadjar, mais un formidable appareil de développement conçu ex nihilo dès les premiers jours de l'Indépendance en 1964 et qui n'hésitait pas à faire appel aux meilleures compétences mondiales de l'époque, le consortium d'études soviétiques Lengipromez, les américains USSteel, Kaiser, Bechtel, les japonais Nippon Steel et Kawasaki, le français Sofresid, l'anglais Atkins, l'indien Dastur, les allemands Hoechst, Mannesmann et Krupp, l'italien Innocenti, l'autrichien Voest Alpine. Tout ce développement se faisait sur la base d'une stratégie bien réfléchie et qui était corrigée et mise à jour continuellement au cours de sa mise en œuvre.
Lorsque le regretté président Boumediene avait lancé, dans son discours de Tiaret en 1974, “le programme sidérurgique et minier de l'Ouest”, ce fut sur la base de dossiers techniques bien préparés et qui avaient comme fondement en matière d'aménagement du territoire le développement de la dorsale occidentale de notre pays de Tindouf à la Macta, et non pas seulement le développement des gisements de Gara Djebilet et d'Abdelaziz-Mecheri ainsi que le complexe sidérurgique de la Macta.
On a pensé que la privatisation de la sidérurgie algérienne et surtout sa vente à Arcelor Mittal allaient permettre de disposer à bon compte de l'acier nécessaire à l'économie et au développement économique qu'il devait entraîner. Or, la logique économique d'un leader international comme Arcelor Mittal obéit à des considérations loin des nôtres.
El-Hadjar est conçu et dispose de toutes les infrastructures et utilités nécessaires à la production de 4 millions de t d'acier. Ces disponibilités permettent en outre de réaliser ces capacités nouvelles en un temps record et à des coûts des plus compétitifs, avec les modules modernes de sidérurgie compacte de la réduction directe de pellets de minerais de fer riches importés aux laminoirs de produits finis, il y a place à El-Hadjar pour installer deux modules de 1,5 million de t chacun.
Lorsqu'on lit dans la presse qu'Arcellor Mittal veut développer de la réduction directe de minerai de fer importé au port de Djendjen ainsi qu'un complexe sidérurgique de trois millions de t à Bellara, on se demande si cela n'est pas un effet d'annonce pour dissuader d'autres investisseurs étrangers, comme l'égyptien Elezz Steel ou les investisseurs de Qatar et des Emirats arabes unis, et se préserver le marché interne algérien (plus de 5 millions de t de produits sidérurgiques par an, soit un marché de près de 4 milliards de dollars) pour ses entreprises disséminées à travers le monde.
R. A.
(*) Consultant en économie industrielle


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