Ce terrible drame est loin de constituer un cas isolé. Depuis plusieurs décennies, la brutalité et l'insécurité ont investi les espaces universitaires, lesquels sont continuellement en proie à des violences. La communauté universitaire est encore sous le choc, après l'assassinat, samedi passé, du professeur Mohamed Benchehida de l'université de Mostaganem, par un de ses étudiants. La victime aurait reçu plusieurs coups de couteau à la nuque et au ventre, dans son bureau, avant de succomber à ses blessures à l'hôpital de la wilaya. Le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Rachid Haraoubia, s'est rendu sur les lieux, le jour même de l'incident, et a présenté ses condoléances à la famille du défunt. Dans une déclaration qu'il a faite, M. Haraoubia s'est demandé s'il était “raisonnable d'agresser le savoir et la science”, allusion faite à la victime, spécialiste en physique et en énergie nucléaire, et ancien membre de la Commission française de l'énergie nucléaire, en qualifiant l'acte de “très dangereux”. Le ministre a, en outre, appelé à l'union des rangs “pour protéger l'université”, non sans assurer que “la justice fera son devoir et la loi sera appliquée comme il le faut”. C'est la première fois qu'un étudiant assassine son enseignant, dans l'enceinte de l'université. Mais, ce que ne dit pas Rachid Haraoubia, c'est que ce terrible drame est loin de constituer un cas isolé. Depuis plusieurs décennies, la brutalité et l'insécurité ont investi les espaces universitaires, lesquels sont continuellement en proie à des violences entre étudiants ou opposant des étudiants à leurs enseignants ou à des employés. Qui a oublié l'agression dont a été victime la jeune étudiante Kadache, en septembre 2006, à l'université de Bab-Ezzouar, et qui a fini par perdre la vie ? L'histoire de l'université algérienne regorge d'“exploits” agressifs, où les conflits, les attaques et les affrontements physiques ou à l'arme blanche sont devenus monnaie courante. L'origine de la colère est multiple, mais souvent, la violence apparaît sur fond de conflits politiques et idéologiques, auxquels s'ajoutent aujourd'hui les pressions des lobbies de l'argent. Si l'on en croit certains observateurs, les émeutes d'Octobre 1988, le dernier discours du président Chadli Bendjedid, puis sa démission, la création du parti dissous, l'ex-FIS, et l'assassinat de Mohamed Boudiaf, sont autant d'évènements déclenchants de la violence en Algérie. Ils ne sont pourtant pas les seules causes. Entre 1975 et 1982, les universités d'Alger et d'Oran vivaient régulièrement des batailles rangées, parfois sanglantes, entre les étudiants islamistes et ceux qu'ils considéraient comme des “mécréants”, parce qu'ils étaient militants et sympathisants du parti d'avant-garde socialiste (PAGS) ou proches des milieux d'extrême gauche. Les seules années 1980 ont vu des affrontements sanglants dans certaines universités, où des citoyens algériens, pour la plupart des étudiants, étaient jugés par des islamistes, souvent ennemis de “la révolution agraire” : d'aucuns étaient tabassés, d'autres assassinés au sabre, à la hache ou au couteau. Avec l'émergence de la formation de Abassi Madani, en 1989, le pays a basculé dans une violence meurtrière. Des islamistes intégristes attaquaient sans cesse des collégiens et des enseignants. Dans les lycées et les collèges, des élèves faisaient pression sur leurs camarades de classe, leurs profs ou leur directeur, pour porter le foulard, sinon arrêter les cours, notamment les cours de français. Dans la même période, des enseignants étaient abattus devant leurs élèves et beaucoup d'écoles avaient été incendiées. Des enfants, des adolescents et même des étudiants, sous la contrainte ou parce qu'ils étaient enrôlés dans les rangs des “fis”, s'étaient convertis en indicateurs des islamistes, pour venir à bout des femmes et des femmes du savoir et de la connaissance. Si l'écrivain Rachid Boudjedra avait qualifié, à l'époque, l'ex-FIS de “fils de la haine”, son collègue, feu Rachid Mimouni, avait noté que le projet intégriste “consiste à décerveler le pays”. L'histoire des années 1990 retiendra que des dizaines d'intellectuels et de diplômés ont été assassinés par les islamistes. Sans oublier qu'elle a provoqué la fuite de milliers de cadres, de médecins, d'ingénieurs, de chercheurs et de scientifiques. En dépit de tout ce qui vient d'être dit, la question de la violence ne saurait être imputée seulement à l'intégrisme islamiste. Selon Abdenasser Djabi, professeur à l'Institut de sociologie de l'université d'Alger, chercheur et auteur de nombreux ouvrages, les élites algériennes sont en déphasage par rapport à la société et n'ont pas été capables de mettre en place les mécanismes du dialogue social et politique, afin de barrer la route à la violence. Résultat : “(le) parti est absent, l'association gelée et le syndicat en hibernation, sans compter l'absence de culture démocratique chez les générations d'Algériens élevés à l'ombre du parti unique”. Comme on le voit, l'université algérienne, à l'image des autres secteurs, est bien malade. Elle est surtout loin de représenter ce lieu du savoir et de connaissances, de production et de transmission, de formation de citoyens. À partir de là, le drame de Mostaganem doit absolument susciter une profonde réflexion, non seulement sur la sécurité des enseignants et des étudiants, mais aussi sur l'avenir des espaces universitaires. Hafida Ameyar