Les devises du square Port-Saïd masquent nombre de manœuvres frauduleuses : sous-facturations et surfacturations dans les opérations du commerce extérieur. À l'écoute constante des moindres nouveautés économiques dans ses aspects technico-réglementaires et évoluant au gré des flux d'affaires officielles, le marché parallèle de la devise est loin d'être une simple place de changes et d'échanges. Gisement insoupçonné de devises, il est l'expression facturée et flagrante d'une chaîne d'inefficacités fiscales, douanières, réglementaires, économiques et monétaires. Qui alimente ce marché qui brasse annuellement des centaines de millions d'euros lequel évolue en marge de l'économie officielle tout en s'assurant des marges de bénéfices franches et quotidiennes ? Préalablement être assuré de l'existence d'une demande suffisante et durable. Logique donc de relever que les marchés parallèles de la devise existent en Algérie parce que la demande existe et s'exprime parfois pressante. S'il est aisé de comprendre et d'admettre que les particuliers en quête de devises recourent à ces marchés parce que le droit au change est limité réglementairement, il est par contre étrange de voir que les plus grands demandeurs du change parallèle se trouvent être des importateurs dûment installés. En effet, il ne faut guère oublier que depuis 1994 et à la faveur d'une instruction de la Banque d'Algérie, le dinar algérien est devenu commercialement convertible. En clair, tout détenteur d'un registre du commerce jouit d'un libre accès au change, sans limite pour peu que ses besoins soient matérialisés par une importation, et ce, sans plafond délimité. Si le dinar est commercialement convertible et que les importateurs peuvent prétendre au change officiel pour leurs affaires, alors se pose la question de savoir pourquoi justement un nombre important d'importateurs comme nous l'attestent nos sources du square Port-Saïd recourent au change parallèle où ils s'approvisionnent en centaines de milliers d'euros ? Et pourquoi manifestent-ils un tel besoin d'autant que sur ce marché, ils sont perdants au change contrairement à ce que leurs offrent leurs banques ? Il s'agit ni plus ni moins d'une fraude fiscale et douanière. C'est la seule motivation de l'importateur qui, afin de payer moins d'impôts et moins de droits de douanes, taxes proportionnelles au chiffre d'affaires et au montant de la facture d'import, pousse ce dernier à manœuvrer dans la fausse déclaration de valeur. En clair, l'importateur minore la facture du produit importé et transfert par voie légale, donc bancaire le montant sous-déclaré. Sauf que le reste du véritable montant, effectif celui que la banque ne verra pas, il se voit contraint de se le procurer en monnaies physiques, des devises qu'il achètera sur le marché parallèle. Grâce au marché parallèle, il a pu trouver le moyen de payer par valise son fournisseur et par prolongement, fuir ses taxes fiscales et douanières. Voilà en premier à quoi et à qui sert le marché de la devise parallèle. Autre population de demandeurs tout aussi importants et réguliers, les agences de voyages qui à défaut de bénéficier du droit au change recourent elles aussi aux devises du marché noir où elles s'approvisionnent, nous dit-on, à coup de milliers d'euros hebdomadaires. Les agences de voyages, de par le sens de leurs activités, ne disposent d'aucune autre possibilité pour exercer et organiser leurs activités d'autant qu'elles se positionnent en importateurs de services, c'est-à-dire que majoritairement elles exportent des devises au lieu d'en importer comme le voudrait la logique touristique, au sens économique du terme. S'il est donc clair que les importateurs constituent les acteurs majeurs de la demande, il est important de s'interroger sur les offreurs de la devise. D'où viennent donc ces énormes sommes ? En dehors de quelques apports insignifiants des retraités et de titulaires des pensions, dont la majorité n'est plus de ce monde, l'offre de devises qui inondent les circuits parallèles émane d'autres acteurs majeurs de la scène économique nationale ; une certaine catégorie d'exportateurs hors hydrocarbures. Comment et pourquoi ? Rappelons que la réglementation algérienne ne permet pas aux exportateurs de disposer de la totalité des devises, fruit de leurs exportations. Ils sont contraints à un partage de pratiquement 50/50 avec les autorités monétaires. En décodé, ils reçoivent 50% en devises et le reste en dinars. Ce qui a incité ces derniers à tricher en minorant la valeur de leurs exportations afin de partager le moins possible. Cette manœuvre baissière et au demeurant frauduleuse induira un payement à l'étranger loin du regard de la Banque d'Algérie. Donc une partie de la vente sera payée directement à l'étranger et l'exportateur aura le loisir soit de maintenir ces devises dans des banques étrangères, soit de les rapatrier frauduleusement pour en tirer bénéfice en les revendant sur le marché parallèle. En fait, et c'est là le point intéressant du phénomène, aussi bien l'importateur que l'exportateur utilisent la manœuvre de la minoration, et leurs intérêts opposés, se rencontrent en parfaite harmonie sur le marché noir de la devise. L'importateur en position de demandeur et l'exportateur en position d'offreur. Toute une philosophie d'affaires qui active sous le regard des autorités monétaires sans que celles-ci puissent y introduire une main régulatrice. À titre illustratif, l'analyse de ce marché à la faveur d'un enseignement fourni au lendemain de l'interdiction de l'importation des véhicules de moins de trois ans d'âge aura permis de démontrer que plus de 600 millions d'euros au minimum s'échangent annuellement sur ces circuits informels. Pourquoi 600 millions d'euros ? Tout simplement cela représente la somme moyenne annuelle des 89 000 véhicules d'occasion importés en 2005 par des particuliers lesquels se sont approvisionnés en devises sur les changes parallèles car la banque ne finançant pas ce genre de produits considérant leur amortissement... Seule une fiscalité assouplie, et une tarification douanière clémente conjuguée à une meilleure accessibilité au change officiel, une libéralisation plus prononcée de l'économie nationale pourraient assécher les besoins de recours au marché parallèle. Une allocation touristique valorisée, de meilleurs droits au change aux malades transférables à l'étranger ainsi que la possibilité aux professionnels du tourisme, notamment les agences de voyages d'accéder à la devise bancaire sont des éléments à méditer par les autorités monétaires pour absorber la demande et finir naturellement comme le veulent les lois du marché à signer l'arrêt de mort du change parallèle. ABDELKRIM ALEM