La vie reprend difficilement ses droits sous les tentes après le séisme qui a endeuillé le pays. Après l'anarchie provoquée par la panique des premiers jours, on tente de s'organiser peu à peu dans les sites où tout est en train de se mettre en place pour faciliter un tant soit peu l'existence des sinistrés. C'est ce que nous avons constaté à Zemmouri El-Bahri, dans le site situé dans le camp de toile Zitouna, que des bénévoles appartenant à l'Organisation nationale des victimes du terrorisme (ONVT) ont réussi à rendre viable. Mais depuis l'arrivée des administrateurs désignés par le ministère de l'Intérieur, une controverse semble s'installer entre les deux parties sur le terrain. Pendant que ces derniers disent avoir trouvé une situation d'anarchie qu'ils prétendent avoir réglée en deux jours seulement, ils sont démentis par les bénévoles de l'ONVT qui n'hésitent pas à leur lancer à la figure qu'ils ne sont venus qu' “une fois que tout le travail a été fait”. Hier, sur le site abritant 130 familles, l'un des administrateurs, M. Bennaï, semblait embarrassé par notre présence et a voulu nous éloigner des bénévoles qui ont activé avant sa désignation. Il a tenté de nous expliquer que lui et son collègue ont procédé à l'organisation du camp en interdisant aux associations et aux particuliers de déposer leurs dons dans le camp, et que nous n'avions qu'à nous rapprocher de la wilaya pour prendre connaissance de leur compte-rendu, nous invitant même à mettre un terme à notre visite. “Cela veut dire que vous êtes en train de nous empêcher de faire notre reportage”, lui a-t-on répondu, lorsqu'il a été apostrophé par deux bénévoles. “C'est faux, vous n'avez rien fait, vous êtes ici depuis hier (NDLR dimanche). Il ne faut pas tirer gloire d'un travail accompli par d'autres”, lui ont-ils signifié. Devant notre détermination et celle des éléments de l'ONVT, l'administrateur a fini par céder, presque à contre-cœur. “Lorsqu'il a fallu mettre la main dans la gadoue, le ministère de l'Intérieur n'était pas là. Nous avons dû faire face seuls à toutes les difficultés pour créer un semblant de vie”, lance Cherif, l'un des bénévoles qui nous a servi de guide à l'intérieur du site. Il est devenu un familier des sinistrés qui l'interpellent par-ci, par-là, et surtout des enfants qui se sont habitués à ses bonbons. Tout en ne minimisant pas les actions des autres organisations, il nous montre ce qui a été accompli par les volontaires. Lui et ses pairs ont réussi la prouesse de mettre en place une pharmacie, un centre de soins et un cabinet de consultation en psycho-traumatisme. Chérif projette même d'installer un hôpital de campagne pour lequel il compte faire venir du matériel de France. Mais il nous signale que le site commence à manquer de vivres, puisque les particuliers n'ont plus le droit de faire des dons directs. “Voilà ce que les administrateurs ont fait. Ils peuvent se vanter d'avoir coupé les vivres aux sinistrés. Ce qu'ils considèrent comme étant une anarchie nous a beaucoup aidés puisque nous pouvions approvisionner facilement les sinistrés”. Dans ce qui était une pizzeria, quelques provisions sont entreposées. Eau, lait, et autres denrées ont été collectés au niveau de Tizi-Ouzou par l'un des volontaires qui est le secrétaire général de l'ONVT dans cette wilaya. Il nous a assuré qu'il lui arrive souvent d'acheter lui-même ce qui manque. À un moment, celui-ci, harassé par tant de journées sans sommeil, s'est emporté devant tant de sollicitations. L'un des administrateurs, qui nous a affirmé être là pour la gestion du site, n'a pas réagi. À quelques dizaines de mètres, nous avons pu constater l'impossibilité pour Chérif de récupérer une aide humanitaire qui a été acheminée par Go Fast et qui lui a été destinée personnellement. Pendant le déchargement des dons (couvertures, sacs de couchage et denrées alimentaires) dans le dépôt de la SNTF qui relève de l'UGTA, Chérif et un autre bénévole se sont vu opposer un niet catégorique en l'absence d'une autorisation à retirer au niveau de la Centrale syndicale. Les bénévoles craignent que ces dons prennent une autre destination, en attendant qu'ils obtiennent le fameux “papier”. Une dispute éclate entre un bénévole et le préposé à l'enregistrement des dons, vite interrompue par d'autres bénévoles. Dans la cour du dépôt, des montagnes de bouteilles d'eau minérale sont exposées au soleil alors que nous avons vu des personnes réclamer de l'eau. Dans un autre site, à Boumerdès celui-là, des volontaires de l'UNJA de Sidi-Bel-Abbès et d'Oum-El-Bouaghi s'affairaient à organiser la distribution des vivres. Ici, au moins, les deux administrateurs qui ont commencé leur mission hier matin, n'ont pas manqué de louer le travail effectué par cette équipe. Devant une tente installée sur le bord de la route, une chaîne disciplinée était formée. “Notre stock commence à s'épuiser”, nous a déclaré l'un des bénévoles, pendant qu'en face, une quinzaine de camions transportant des dons étaient alignés, en partance vers on ne sait quelle destination. À quelques mètres de la tente, des hommes se sont empoignés. La raison, un des occupants du site a manœuvré trop près de l'abri d'une famille pour garer son camion. Les administrateurs regardaient de loin. Les forces de sécurité ont eu beaucoup de mal à contenir la bagarre. R. M.