Une étude indépendante a révélé que 7 000 naissances illégitimes sont recensées chaque année en Algérie, alors que le département officiel ne parle que de 3 000 naissances illégitimes par an. Longtemps considéré comme tabou, l'avortement commence à sortir du placard pour s'étaler au grand jour à la lumière d'esquisses de débats lancés par une poignée d'initiés. Si les statistiques sont implacables dans leur lecture du phénomène, la réalité des victimes se perd dans les limbes de la bonne conscience et des barricades de la morale. À titre d'exemple, à Oran, plus de 30 nouveau-nés, dont 19 sans vie, ont été découverts dans les rues de la ville depuis le début de l'année en cours alors que le bilan de 2007 se chiffre à 27 victimes. Loin de constituer une "spécialité" locale, l'infanticide est répercuté sur le plan national où les comptes-rendus des journaux font de plus en plus état de découvertes macabres. “Le nombre de 30 cas de bébés morts et jetés n'est que la partie apparente de l'iceberg. Combien d'autres dont les corps ne sont jamais découverts ?”, s'interroge Fatma Boufenik, enseignante chercheur et présidente de l'Association Fard. Une prise de conscience qui fait débat autour de la question du statut de l'avortement. En l'espace d'une décennie, selon certaines lectures, et d'un peu plus selon d'autres, l'avortement, épousant la conjoncture nationale est devenu un véritable phénomène de société. Les chiffres communiqués par la Gendarmerie nationale jettent un froid puisque, selon des statistiques officielles, quelque 8 000 avortements sont pratiqués chaque année. “Je pense qu'il est temps de casser un tabou pour nos officiels car la société a trouvé le subterfuge pour passer outre”, commente Mme Boufenik. Reliant les cas d'abandon à l'avortement, elle dresse un constat négatif de la situation puisque les chiffres officiels sont éloquents même s'ils sont loin de la réalité, comme tient à le souligner le docteur Boualem Ouzriat, de l'Association maghrébine pour l'étude de la population, dans un document intitulé “L'avortement provoqué en Algérie”. L'auteur est surpris de trouver des taux si élevés d'illégitimité sur le total des naissances enregistrées. En effet, près de 15 000 enfants sont nés hors mariage durant la période 2000-2005. Selon lui, ces chiffres communiqués par le ministère de la Solidarité nationale sont battus en brèche par une étude récente. Les chiffres de la tutelle, lit-on dans l'étude, demeurent loin de la réalité car une étude indépendante a révélé que 7 000 naissances illégitimes sont recensées chaque année en Algérie, alors que le département officiel ne parle que de 3 000 naissances illégitimes par an. L'IVG à l'espagnole L'avortement en Algérie est strictement interdit. La loi dans ce sens est on ne peut plus clair. L'article 304 de code pénal stipule “quiconque par aliments, breuvage, médicaments, manœuvres, violence ou par tout autre moyen, a procuré ou tenté de procurer l'avortement d'une femme enceinte ou supposée enceinte qu'elle y ait consenti ou non est puni d'un emprisonnement de un an à cinq ans et d'une amende de 500 à 10 000 dinars. Et si la mort en résulte, la peine est la réclusion de 10 à 20 ans”. La question de l'avortement se voit actuellement poser en termes de redéfinition du statut puisque deux options se dégagent dans un premier temps. Les militants de la dépénalisation et les adeptes de la légalisation de l'interruption volontaire de grossesse s'activent pour faire avancer d'un pas supplémentaire le débat et le rendre public. Dans cette perspective, l'Association Fard s'attelle à mettre sur pied un séminaire ou une journée d'étude, “selon les moyens en place”, pour débattre du dossier. Ainsi, plusieurs partenaires de débat vont être prochainement sollicités, à l'image de la justice, de l'action sociale, des affaires religieuses, pour un échange d'idées même si la prévision d'une évolution des mentalités reste très faible. La date du 25 novembre, coïncidant avec la journée mondiale de la lutte contre les violences faites aux femmes, a été arrêtée comme premier choix mais l'absence d'un partenaire financier ou de sponsors pour l'heure hypothèque grandement la tenue de cette rencontre. “Nous appelons les sponsors à se manifester pour la réussite de cette journée”, insiste Fatma Boufnik qui néanmoins a inscrit deux autres dates dans son agenda au cas où. Notre interlocutrice a conscience que cette journée n'est qu'un prélude à un long combat pour la réhabilitation de la femme et qu'aucune décision ne saurait être prise sans la présence de tout le monde. “Actuellement, nous avons reçu deux accords de principe pour la participation du professeur Sari qui débattra de la dimension éthique et déontologique de l'avortement ainsi que celle de Fatiha Talahite qui fera le point sur les approches philosophiques et historiques de la question aussi bien dans les mouvements féministes que dans les positions d'ordre politique”, explique-t-elle. L'objectif premier de cette prise de conscience est d'ouvrir un débat, d'informer et de sensibiliser l'opinion publique sur la question de l'IVG. De là à ce que l'Algérie opte pour une solution à l'espagnol ou reste sur ses principes de base, des femmes, seules, sombrent dans la folie du doute. Saïd Oussad