Il n'existe aucun texte de loi qui dicte ou qui interdit la pratique d'une religion. Selon les juristes, les procès liés à ces affaires ne sont pas l'œuvre des institutions, mais celle de certains magistrats “zélés”. Jamais dans l'histoire de l'Algérie l'inobservation du jeûne ou la pratique d'un culte autre que l'Islam n'a fait l'objet d'un procès en justice ou de condamnation. Même si le mois de Ramadhan est le quatrième pilier de l'Islam et ce dernier est considéré comme religion d'Etat, la Constitution préserve la liberté de conscience et la liberté d'opinion. “Il n'existe aucun texte de loi qui permet de condamner quelqu'un pour pratique d'un culte autre que l'Islam ou qui punit les non-jeûneurs”, déclare Nadia Aït-Zaï, juriste et coordinatrice du Centre d'information de défense des droits de l'enfant et de la femme (CIDDEF). Elle précise que le seul document qui existe est une circulaire interwilayas, datant des années soixante, interdisant l'ouverture des restaurants durant le mois de Ramadhan. “C'était le début de l'interdiction de manger publiquement durant le mois sacré”, explique-t-elle. Cependant, tous les juristes rencontrés ont confirmé que l'acte pour lequel ont été condamnées les six personnes de Biskra ou celui de Habiba ne tombent sous la force d'aucune qualification pénale. Il s'agit d'une première dans les annales judiciaires. Sachant que la Constitution, dans son article 36, garantit la liberté de conscience et la liberté d'opinion. Le seul cas où des actes pareils sont incriminés a été introduit dans le code pénal à travers les amendements d'Ahmed Ouyahia, en 2001, et concerne exclusivement l'acte journalistique. Il s'agit de l'article 144 bis 2 qui, sous l'intitulé “Outrage et violence contre les fonctionnaires et les institutions de l'Etat”, stipule : “Est puni d'un emprisonnement de 3 à 5 ans et d'une amende de 50 000 DA à 100 000 DA quiconque offensera le Prophète ou l'un des envoyés de Dieu ou dénigre les dogmes ou les préceptes de l'Islam, que ce soit par voie d'écrit ou de dessin, de déclaration ou tout autre moyen.” Même si cette affaire est conclue par un acquittement, elle nous renvoie au procès de Habiba et les autres. Beaucoup trop d'affaires en justice dans un pays où la tolérance religieuse est officiellement affirmée par les politiques ! En revanche, compte tenu de la Constitution algérienne et de la loi qui en découle, il n'est mentionné nulle part que les citoyens “confondus” dans pareille situation doivent subir des peines de prison. Comment peut-on expliquer ce type de procès ? Selon les personnes rencontrées, notamment les juristes et sociologues, elles constatent que notre pays assiste à un retour à une islamisation forcenée de la société algérienne qui s'installe peu à peu et dans le temps. “Il faut se remettre dans l'ambiance et l'environnement social de l'Algérie qui a tendance à s'islamiser de plus en plus. Bien entendu, les auteurs de ces décisions judiciaires considèrent l'inobservation du jeûne comme une atteinte à l'ordre public et social. Même s'il n'existe pas de texte de loi, la morale devient importante dans ce type d'affaires”, indique Nadia Aït-Zaï. La juriste précise que les magistrats qui ont traité ces procès à Tiaret, Biskra ou ailleurs, n'ont pas appliqué les textes de loi, mais ils ont réagi selon leur propre morale. “Le magistrat est tenu par l'application des lois, on ne lui demande pas de juger selon des convictions religieuses. L'Islam est clair, c'est la seule religion où l'être humain est laissé au jugement de sa conscience concernant la pratique du culte”, ajoute-t-elle. Me Miloud Brahimi précise, pour sa part, que le secteur de la justice assiste à un vrai détournement des textes de loi. “Il n'y a aucune menace sur la liberté de culte, mais ce qui fait peur c'est de trouver des magistrats qui détournent les textes de loi de leur sens. C'est une violation du code pénal, on assiste à une montée de l'islamisme par opposition à l'Islam, véhiculé par certaines personnes qui ont une conception militante et déviante de la religion musulmane”, précise-t-il. Par ailleurs, Me Brahimi lance un appel aux pouvoirs publics à faire preuve de vigilance concernant ce type de “dérapage” qui n'est, selon lui, qu'une pratique abusive du droit légitime. “Heureusement qu'il existe d'autres voies de recours, notamment l'appel et la cassation qui permettent à la justice de rectifier ses erreurs. C'est ce qui s'est passé dans la majorité des procès.” Interrogé sur les sanctions des magistrats qui ont contourné la loi, le juriste précise que la justice est le seul secteur qui est basé sur l'erreur d'où la cour d'appel et de cassation. “Il me plaît d'espérer que le ministère de la Justice fasse quelque chose à l'égard de ces magistrats qui contournent la loi afin de les rappeler à l'ordre et à une application saine du droit. Il existe également des sanctions administratives venant de leur hiérarchie”, précise-t-il. Me Nadia Aït-Zaï indique, pour sa part, que ces décisions juridiques ne sont pas l'œuvre des institutions, mais ce sont des actes isolés des magistrats “zélés”. Elle suggère l'intervention des structures concernées si ce type d'affaire est appelé à se répéter afin de protéger l'individu. “La justice doit rester une institution crédible”, conclut-elle. N. A.