Si les nuisances sonores de nos bomboulas, telles que les DJ, sont capables de crever des tympans lorsqu'elles sont lâchées à fond la caisse, d'autres, comme les balles perdues d'une salve de joie, peuvent carrément faire tourner la soirée en drame. C'est connu : nos fêtes sont bruyantes, tapageuses et excessives. Plus elles laissent beugler leurs amplis et leurs décibels sur les terrasses et plus l'ambiance prend des allures de charge de cavalerie, surtout quand les convives se mettent tous à danser. La recette est peut-être ringarde mais elle est indémodable. Quand ce ne sont pas les klaxons du cortège nuptial qui réveillent le quartier au beau milieu d'une sieste d'été, ce sont les troublons de la “waâda” qui le font sursauter…“Boum boum”, voilà les joyeux drilles. Ce qui nous amène à croire que les youyous, le couscous et le baroud restent à l'évidence les signes extérieurs de nos liesses. Si les nuisances sonores de nos bomboulas, telles que les DJ, sont capables de crever des tympans lorsqu'elles sont lâchées à fond la caisse, d'autres, comme les balles perdues d'une salve de joie, peuvent carrément faire tourner la soirée en drame. Combien de noces ont été endeuillées parce qu'un étourdi a tiré en l'air sans s'assurer au préalable que ses balles ne toucheraient aucun impact et n'atteindraient personne ? Jusqu'aux années 1970, ce genre d'accident n'était enregistré que dans le milieu rural ou semi-rural de l'Oranie. Pour le panache comme pour la frime, on considérait à la campagne qu'une fête n'avait ni charme ni saveur si les cavaliers et leurs fusils étaient absents pour la fantasia. Elle n'avait aucun sens si les invités, du moins les proches, ne faisaient pas parler la poudre… lorsque le nouveau marié, par exemple, s'apprêtait à rejoindre son épouse… lorsque cette dernière “perdait” sa virginité, c'est par des tirs répétés au milieu d'un nuage de poussière que les membres de la tribu raffermissaient ainsi la longue chaîne de la solidarité familiale. Dans certaines dechras limitrophes où les liens consanguins étaient très proches, tous les mâles en âge de porter un fusil faisaient eux aussi cracher la poudre en réponse et en écho aux salves de leurs cousins. Pas toujours sans risque, car il y a toujours quelqu'un qui laissera des plumes dans ce type de démonstration.Il est difficile en l'état actuel des choses de comptabiliser, encore moins de dresser des statistiques de toutes les “bavures” provoquées involontairement par armes à feu. Et quand bien même cela était possible, le listing serait toujours incomplet. La fête sans fusil n'a pas de charme Parce que dans cette Algérie profonde, on reste traditionnellement discret sur la maladresse de ses hôtes. Pour l'honneur de sa maison et de sa tribu. Que ce soit dans la dechra, la vallée du Chélif, le Sersou ou la plaine de la Mekerra, l'omerta est collective, la même pour tous. On ne parle pas de la rouille qui ternit l'or de la fête. C'est à partir de la première vague de l'exode rural qui videra nos campagnes dès 1974 que les mœurs du douar se grefferont au tissu des grandes villes. Subtilement, par paliers. Le fusil de chasse est alors accroché au mur du salon comme un trophée ainsi que le chapeau de paille à pompes rouges, parfois même une outre pour rappeler à la progéniture fraîchement urbanisée la terre des ancêtres et ses sillons. Pour n'importe quel prétexte, dans ces appartements construits en cage à poules, la chevrotine est toujours sollicitée pour participer à la fête, à l'allégresse des riverains. Quand le Mouloudia, à l'issue d'une rencontre retransmise en direct à la télévision, gagne son match, le père, sous la pression euphorisante de ses gosses, sort son arme, ouvre la fenêtre et tire au jugé pour joindre sa voix à l'hystérie de la rue. S'il ne blesse pas imprudemment un passant excité tout comme lui, il trouvera néanmoins le mur du bloc d'en face. Quand le voisin du dessous circoncit son petit, la même chevrotine, par la même fenêtre, saluera l'événement par deux ou trois cartouches en guise de feu d'artifice. Malheureusement, tout ne se passe pas toujours de manière aussi angélique. C'est dans les cérémonies de mariage surtout, lorsqu'il y a foule et concentration d'invités, que les choses se gâtent. Près d'Arzew, il y a quelques années, et pendant que les convives festoyaient gaiement, une balle perdue tirée par un parent du marié blessait grièvement un quinquagénaire. À Sénia, au cours d'une cérémonie semblable, alors que les invités étaient dispatchés sur deux niveaux, le patio pour les hommes et la terrasse pour les femmes, une cartouche tirée en l'air atteignait de plein fouet une jeune femme qui s'était trop penchée. Il y a trois ans, un jeune convive tirait à Eckmul à partir d'un cortège et blessait involontairement une femme qui prenait l'air sur son balcon. Bref, fusil de chasse ou chevrotine, le résultat est identique. Quelquefois – mais rarement – la soirée nuptiale ne sera qu'un alibi pour vider de vieux comptes entre deux rivaux ou deux ennemis. Le 24 août de l'année dernière, c'est donc très récent, un homme de cinquante ans répondant aux initiales D. K. tirait à bout portant, en pleine fête, sur un jeune homme de 22 ans répondant aux initiales Z. M. Transportée en urgence aux UMC de Mohammadia dans la wilaya de Mascara, la victime rendra l'âme peu après son admission. Ce drame qui a endeuillé deux familles s'est passé dans une ferme, près du village de Sidi Abdelmoumene, c'est-à-dire en rase campagne. Il nous paraît évident, à ce niveau, que les milieux confinés, c'est-à-dire les salles des fêtes, économisent bien des désagréments aux organisateurs dans la mesure, par exemple, où les convives sont triés, filtrés, dans la mesure où l'alcool est prohibé et le port du fusil de chasse incongru. Mais voilà. Sur les 140 salles recensées à Oran, seulement 60 qui répondraient, semble-t-il, aux normes réglementaires seraient actuellement en fonction. Elles sont trop sollicitées et trop chères pour les familles qui n'ont d'autres ressources que de planter une ou plusieurs guitounes… à l'air libre… pour pouvoir faire la fête. Mustapha Mohammedi