Avec le décès de Myriam Makeba, c'est un pan de l'histoire du continent et de ses luttes qui disparaît. L'engagement, l'engagement jusqu'au bout. Uzenzile Makeba, dite Myriam, la “Mama Africa” s'est éteinte jeudi dernier à Naples, en Italie, juste après sa sortie de scène, terrassée par une crise cardiaque. Elle venait de finir son tour de chant, lors d'un concert de soutien à l'écrivain Roberto Saviano menacé de mort pour Gomorra, un livre, et d'un film pamphlet contre la mafia. La grande chanteuse africaine venait d'avoir 76 ans, et menait sa carrière, cinquantenaire, comme elle l'avait toujours fait, avec un grand sens du “commitment”, comme elle disait, en fonction de choix politiques éclairés. Cet engagement, elle ne l'a pas voulu, ce sont les terribles hasards de l'histoire et l'apartheid naissant qui le lui ont “imposé” dès le début. En 1959, Myriam Makeba, 27 ans, est une artiste internationale confirmée ; elle tourne aux Etats-Unis avec son groupe, les “Manhattan Brothers”. C'est la consécration, la tournée s'éternise. Quelques mois plus tard, sa mère décède à Johannesburg. Myriam veut rentrer au pays. Elle s'aperçoit qu'à cause de certaines déclarations faites sur le régime afrikaner, l'Etat sud-africain, entre-temps, l'a déchue de sa nationalité, avant d'interdire sa musique. Commence alors pour la chanteuse une vie d'exil qui durera 31 ans. Et les Etats-Unis d'Amérique de terre de libertés qui lui décernent le premier Grammy Award, jamais remis à une artiste noire, vont également lui présenter leur face raciste. Alors qu'elle connaît un immense succès — son tube Pata, Pata sort en 1967 —, son mariage en 1969 avec le leader des Black Panthers, Stokely Carmichael, n'est pas du goût des autorités US. C'est la fin de l'aventure américaine, prochain arrêt, la Guinée. 1969, c'est aussi la date où la chanteuse se connecte directement à l'histoire de notre pays, à l'heure où Alger se veut phare du continent. 1969, année du Panaf, festival Panafricain à Alger, année de Ifriqyia, Ifriqyia en duo avec Mohamed Lamari, quand les enfants d'alors moquaient l'accent de la chanteuse - le “hirryia, hirryia” du refrain qu'elle chantait en arabe — et les adultes s'enthousiasmaient pour le combat africain qui déchaînait tous les espoirs (lire également l'article de Djamila L.). Les années suivantes ne furent pas pour autant clémentes. La Guinée fut son havre, après son divorce en 1973, mais en 1985, un drame personnel manqua de l'anéantir. Sa fille unique, Bongi, meurt brutalement à l'âge de 36 ans. Incapable de surmonter son deuil, elle s'exile de nouveau, cette fois en Europe, où sa carrière reprend, notamment dans la vague africaine qui saisit Paris à ce moment-là, sous le charme de groupes comme Touré Kunda, ou l'émergence d'artistes complets comme Fela ou Alpha Blondy. Nelson Mandela, libéré, finit par la convaincre de rentrer au pays, en 1990, à la chute de l'apartheid, afin qu'elle puisse enfin dire sur place ce message de tolérance qu'elle a si longtemps chanté, en zoulou, zhoxa ou en tswana d'ailleurs : “Les Noirs et les Blancs doivent apprendre à se connaître et à vivre ensemble.” La fin de l'apartheid ne marque malheureusement pas la fin des problèmes en Afrique, et Myriam Makeba continue d'exprimer sa désolation de voir certaines régions du continent en proie à des conflits sanglants. Ses années d'exil la pousseront d'ailleurs à s'engager pour des causes plus larges, comme la liberté d'expression et surtout la liberté de résister. C'est ce qu'elle faisait le mieux. C'est ce qu'elle faisait, ce dimanche soir, à Castel Volturno, près de Naples, dans le sud de l'Italie, aux côtés de Roberto Saviano : chanter pour insuffler le courage, chanter pour dénoncer l'arbitraire et les maîtres esclaves. Qu'ils soient napolitains, afrikaner ou potentats du continent. R. A.