Rencontré à Tipasa lors du 1er Festival des saveurs et des goûts en Méditerranée, dont il était l'invité d'honneur, l'ancien correspondant à Alger du quotidien français le Monde et proche de feu le président Boumediene a bien voulu confier à Liberté quelques souvenirs mais aussi lancer quelques pistes pour l'avenir. Liberté : Vous qui êtes d'origines libanaise, égyptienne, syrienne et française, qu'est-ce qui vous a amené à vous intéresser au Maghreb ? Paul Balta : J'ai découvert en fait le Maghreb lors d'un voyage par route en juillet-août 1954. J'avais alors 17-18 ans. C'est là que j'ai découvert et aimé le couscous. (Rires). En poursuivant mes études au lycée Louis-Legrand [sans doute l'établissement scolaire le plus célèbre de Paris, ndlr], puis à la Sorbonne, j'ai remarqué que mes condisciples les plus brillants connaissaient l'histoire de Rome et de civilisations lointaines, mais qu'ils n'avaient aucune idée de celle du Maghreb qui était pourtant très proche. C'est là que je me suis promis de m'y consacrer à la fin de mes études. Vous devenez journaliste quelques années plus tard à l'orée des années 1960, à Paris Presse, puis au Monde… Ma venue à Alger fut un pur hasard. Le poste de correspondant s'y libérait. J'avais couvert pour le journal l'actualité du Proche-Orient, notamment les guerres de 1967 ou de 1973. J'étais familier de l'arabe et de la culture de la région. Il m'arrivait de citer Ibn Khaldoun. Tout cela a suffi à Jacques Fauvet pour voir en moi l'homme de la situation. Ce n'était pas le seul, semble-t-il. Vos connaissances de la région ont fait que vous avez été particulièrement bien accueilli à l'époque ? Effectivement. En 1958, feu Gamal Abdel Nasser, en me recevant, m'avait dit : “Ton père est français, ta mère est égyptienne. Donc tu es plus arabe que français, parce que dans notre tradition, c'est la mère qui compte le plus.” Quelques années plus tard, à mon arrivée à Alger en 1973, le président Boumediene me dit : “Tu as du sang arabe dans les veines. Tu pourras ainsi faire connaître le Maghreb de l'intérieur.” Oui, j'ai été plutôt bien accueilli. Justement, vous avez été plutôt proche du président Boumediene ? J'ai été reçu par feu Boumediene, pour 50 heures d'entretiens de 1973 à 1978. Certaines fois à raison de deux heures par jour. Et c'est là que j'ai compris que mon arabe n'était pas si bon… Un jour, je lui ai dit : “Monsieur le Président, je sais que vous préférez vous exprimer en arabe, mais, s'il vous plaît, allez plus lentement, parce que les professeurs qui me l'ont enseigné l'ont fait de manière archaïque… ” Il me répondit : “Hélas ! Hélas ! C'est toujours pareil ! Nous avons commencé en français. Eh bien, nous allons finir cet entretien en français.” Laissez-moi vous dire qu'il le parlait parfaitement, et contrairement à certains dires de l'époque, il maîtrisait la langue de Molière à la perfection. Il m'a confié ensuite qu'il faisait semblant de ne pas le maîtriser, pour mieux se débarrasser de certains importuns… Malgré cela, travailler à cette époque ne devait pas être de tout repos ? Effectivement, c'était difficile. Il y avait la censure ! Une personne était chargée de la censure au ministère de l'Information à l'époque et c'était quelqu'un qui avait de l'expérience… Vous êtes toujours considéré comme un spécialiste de l'Algérie et de la région, et vous avez sorti récemment Islam et islamisme, gare aux amalgames, avec votre épouse Claudine Rulleau. Mais ce que l'on sait le moins, c'est que vous êtes amateur de bonne chère, notamment du Maghreb… Oui… J'ai écrit un livre sorti aux Editions Sindbab, en 2004, intitulé Boire et manger en Méditerranée. Apparemment, ce livre a trouvé des échos ici. Nous avons été invités avec mon épouse et je vous avoue que je me suis dit : “Pourquoi ne pas fonder un conservatoire des cuisines méditerranéennes en Algérie ?” En fait, je ne lésinerai sur aucun effort pour la construction de lieux de rencontres et d'échanges à travers tout le pourtour de la Méditerranée, où beaucoup de similitudes nous lient, que ce soit sur le plan culturel, mais aussi culinaire. C'est une autre façon de faire de ce “lac” un havre de paix. M. B.