Dans cet entretien, l'expert international, parmi les plus brillants spécialistes financiers algériens, aborde la réforme bancaire, la nécessaire recapitalisation des banques publiques et la redynamisation du marché financier local. Liberté : Comment analysez-vous la mise en oeuvre de la réforme bancaire ? Lachemi Siagh : Selon moi, la réforme bancaire n'est pas une action ponctuelle, c'est une entreprise permanente. On a mis en place un système de paiement performant, la carte de paiement, ce n'est pas l'essentiel de la réforme, même si ces instruments s'avèrent importants. La réforme bancaire, c'est mettre les banques publiques aux normes, c'est les mettre au niveau de gestion des banques internationales. En ce sens, deux actions sont nécessaires. En premier lieu, il convient d'intervenir sur le système d'information des banques. Ce qui requiert un savoir-faire, des instruments techniques propres aux systèmes d'information. Il s'agit de ramener une ingénierie qui puisse développer des produits adaptés aux besoins de la clientèle, aux besoins notamment de PME, d'avoir des réseaux qualifiés capables de développer des produits, d'analyser les besoins de la clientèle. Un système d'information performant permet de disposer notamment d'un tableau de bord, de transférer de façon instantanée les données, un bilan financier mensuel de la banque. En second lieu, la formation des cadres bancaires est indispensable. Le problème en Algérie, c'est qu'on n'a pas de grandes écoles qui forment des cadres bancaires dans la gestion financière, notamment dans la gestion des risques, le financement de projets. Beaucoup de responsables bancaires en Algérie considèrent la formation comme un coût et non comme un investissement. Tant que la formation est considérée comme un coût, on ne peut pas avancer. La réforme financière doit porter en résumé sur ces deux éléments. Pourquoi est-il indispensable aujourd'hui de recapitaliser les banques publiques ? La recapitalisation est nécessaire, ne serait-ce qu'au regard des projets aval de Sonatrach (programme de pétrochimie d'un coût de 20 milliards de dollars). Le coût de chaque projet dépasse le milliard de dollars. Si l'on se réfère aux règles prudentielles, une banque ne peut engager sur un même projet plus de 15% de ses fonds propres. On peut aller jusqu'à 25%. Mais pas au-delà. Les banques publiques n'ont pas la capacité de financer seules un projet d'un coût de 1 milliard de dollars. Le CPA dispose en moyenne de 40 milliards de dinars de fonds propres. Les cinq banques publiques CPA, BNA, BEA, Cnep, Badr disposent seulement de 2 à 3 milliards d'euros de fonds propres. Il ne faut pas confondre avec les liquidités, en un mot de l'argent qui n'est pas prêtable, si l'on veut éviter le risque systémique. Il faut donc augmenter le capital des banques publiques pour qu'elles puissent financer les grands projets. Autre problème : les ratios de transformation quand vous avez des projets de 2 à 3 milliards de dollars, une durée de remboursement de 15-17 ans et de l'argent déposé qui est à court terme. Cette situation présente des risques. Les banques publiques n'ont pas de ressources longues. Et les ressources longues, on les obtient quand on a des fonds de pension des retraites, de l'argent déposé pour 10-20 ans. Le problème de notre pays, c'est l'indigence du système financier. Un projet peut se financer par une multitude de financements, notamment le capital risque, les emprunts obligataires… Comment évolue le marché obligataire en Algérie ? Le marché obligataire est depuis deux, trois ans verrouillé par le système bancaire. Les banques publiques refusent d'accompagner les entreprises privées viables dans des opérations d'emprunts obligataires. Tant que les groupes privés ne sont pas encouragés à s'engager dans ces opérations, on ne peut développer ce marché dans notre pays. Qu'en est-il du marché boursier ? La Bourse, c'est le reflet d'une économie, c'est l'image du développement économique d'un pays (la Bourse d'Alger est une très petite bourse). En Algérie, plus de 80% des entreprises privées sont des Sarl. Or, pour aller à la Bourse, il faut être une SPA. Il faut que les Sarl se transforment en SPA, avoir 5 ans d'existence, une bonne santé financière, ses états financiers publiés tous les six mois. Quelles sont les sociétés en Algérie qui veulent publier ces informations ? Nombre de ces sociétés sont des entreprises familiales. Elles ne veulent pas d'étrangers dans leur capital. La plupart de ces entreprises accèdent au crédit à des taux de 5 à 8%. Aller à la Bourse veut dire donner des dividendes de 25%. Beaucoup d'entre elles ne veulent pas partager le fruit de leur croissance. Par ailleurs, il faut une volonté forte de l'Etat pour redynamiser la Bourse d'Alger, que l'Etat donne l'exemple par l'introduction au-moins de 5 bonnes sociétés publiques, en mettant 20 à 30% de leur capital à la Bourse. L'Arabie saoudite, par exemple, a obligé lors de la vente des licences les opérateurs téléphoniques à mettre 30% de leur capital en Bourse. Pourquoi ne pas forcer, de surcroît, les opérateurs téléphoniques implantés dans le pays à le faire en Algérie… K. R.