Dans cet entretien, le pianiste Franck Amsallem explique l'émotion que lui procure son retour en Algérie, sa vision du jazz et nous donne quelques indices sur le concert qu'il donnera ce soir en compagnie de son trio et du saxophoniste Rick Margitza. Liberté : C'est la première fois que vous vous produisez en Algérie. Vous avez déjà joué au Maghreb ? Franck Amsallem : J'ai déjà joué au Maroc, au Festival d'Essaouira. Mais, jamais en Algérie. C'est une émotion très forte. Je suis parti d'ici, tout petit et je ne suis jamais revenu. Alors, bien sûr, c'est très spécial. Vous serez ce soir à Alger en quartet : trio piano, basse, batterie et un saxophoniste invité… Oui, cet invité, Rick Margitza, est un brillant saxophoniste avec qui je travaille depuis un quinzaine d'années. C'est quelqu'un qui a travaillé avec Miles Davis. Sylvain Romano, à la contrebasse est très jeune, mais très demandé, instrumentiste qui vient de Marseille, Karl Jannuska, le batteur est canadien qui habite à Paris depuis 7 ans, mais que j'ai rencontré à New York où j'ai habité une vingtaine d'années. Voilà un peu à qui vous aurez à faire ce soir. Quand on regarde votre carrière, on voit que vous êtes passé par des formations très différentes, big band, quartet, trio, quelle est la forme qui vous convient le mieux ? J'ai effectivement joué dans beaucoup de big band, notamment celui, magnifique et très connu, de Maria Schneider. Mais, j'ai effectivement joué dans beaucoup de formations différentes, ce qui m'a permis de me diversifier et de continuer à apprendre. C'est une des choses que j'aime dans le jazz, en tant que musicien. Nous avons de multiples occasions de rencontres et de travail. Mon batteur, par exemple, travaille avec 20 formations différentes. Moi-même je joue régulièrement dans cinq ou six groupes. J'aime vraiment ce brassage qui est possible dans le jazz, il suffit juste que les musiciens parlent le même “idiome”. Mais, c'est vrai que la formation avec laquelle je vais jouer ce soir trio + sax invité, assez intime, a ma préférence aujourd'hui. D'autant que comme je vous le disais tout à l'heure, Rick Margitza, notre saxophone est vraiment bon. Vous avez croisé des grands noms comme Gary Peacock, John Chambers, Bill Stewart, Michael Brecker, Joshua Redman et bien d'autres, qu'est-ce que cela vous a apporté ? Ça nous apporte le contact avec des grands maîtres, c'est comme ça qu'on grandit. On apprend en étudiant, en jouant avec les grands maîtres. Donc, moi, j'ai joué avec ces gens-là, et je leur dois aussi ce que je suis. Vous avez eu une très longue expérience américaine, dont une formation à Berkeley sur la côte ouest. Aujourd'hui, vous vous êtes réinstallé en Europe depuis 6 ans. Avec le recul, comment considérez-vous cette expérience… D'abord, j'ai eu ma petite fille, Layla, et puis j'ai voulu changer de vie… Après 20 ans, il était temps de faire autre chose. Avec le recul, cette expérience américaine a été extraordinaire, c'est le centre mondial du jazz. J'ai été très heureux de faire cela, de rencontrer tous ces gens dont on a parlé. C'était formidable. Mais bon, à un moment, il faut se décider à changer sinon on risque de se répéter. Avec tout ce recul, qu'est-ce que vous pensez de cette vieille querelle, que vous évoquez d'ailleurs dans Summertimes, entre les tenants d'un jazz européen plus austère et d'un jazz américain qui serait plus festif ? Comment la voyez-vous avec cette double expérience ? Moi, je sais qu'en Europe, je joue avec de superbes musiciens, du même niveau qu'aux Etats-Unis. Mais ce qui est vrai, c'est qu'il n'y en a pas autant. Ce qui est vrai aussi, c'est qu'aux Etats-Unis, ils viennent d'un système qui était seulement système capitaliste marchand, tandis qu'en Europe, nous avons le support des organismes culturels, comme les CCF qui d'ailleurs nous envoient comme ici en Algérie et de par le monde et donc, l'économie elle-même du jazz est totalement différente. Ensuite, la différence, c'est que le Jazz est une musique née en Amérique et par là même, c'est une musique qui portera toujours un certain cachet américain. Personnellement, je suis allé chercher là-bas, parce que c'était comme ça que je voulais jouer. Il y a un côté festif irrésistible dans cette musique. Je voulais jouer avec des gens qui vraiment jouaient cette musique de cette façon-là. Je voulais faire partie de cette tradition-là. Mais bon, je ne suis pas sectaire. J'aime beaucoup de choses. Et vous savez, Duke Ellington disait toujours : “Il y a de la bonne, et il y a de la mauvaise musique.” C'est clair, voilà la ligne. Avant tout, moi, j'essaie de faire un Jazz qui me fait plaisir en dehors des considérations “politiques” du jazz. Maintenant, à mon âge, j'ai plus de 47 ans tout de même, j'essaie d'apprécier la musique que je joue aujourd'hui. Et pour le programme que vous allez interpréter ce soir ? Y aura-t-il quelques standards ? En fait, nous allons essentiellement jouer des compositions personnelles, les miennes et celles de Rick, qui est un très bon compositeur. En ce qui me concerne, nous devrions jouer un titre de chaque album que j'ai sorti, cela en fait sept. Parmi ces titres, on devrait jouer In Memoriam, un morceau que j'adore et qui est un hommage à Michael Brecker, qui est mort l'année dernière et que j'aimais particulièrement. Ça me fait d'ailleurs toujours un drôle d'effet, parce que je le connaissais et puis, surtout quand j'étais jeune, j'étais très proche de lui, j'ai étudié avec lui et c'était un type qui était extrêmement aimé par tous les noms du Jazz. Un mot sur votre visite à Oran… Ecoutez, c'est la ville qui m'a vu naître. Mardi, j'ai pu visiter la maison où je suis né, et le cimetière qui abritait le caveau de mes ancêtres. C'était un moment incroyable. Une émotion très forte. Je me sens vraiment d'ici. L'Algérie, c'est mon pays, c'est là d'où je viens. Je suis donc vraiment très très heureux d'être ici. R. A. Franck Amsallem Trio avec Rick Margitza, en concert ce soir à la salle Ibn-Zeydoun de l'Oref, à partir de 19 heures. Entrée : 200 DA. Pour vous faire une idée : myspace.com/amsallem