Au colloque organisé mercredi dernier à Alger par le Forum des chefs d'entreprise (FCE), le professeur Abdelatif Benachenhou voulait résumer l'impact que devrait raisonnablement avoir la crise financière mondiale actuelle en Algérie, ainsi ni optimisme béat ni pessimisme outrancier. Sans doute faudrait-il, nécessairement un jour prochain, réunir à nouveau des experts pour revenir sur des questions très pertinentes posées par le brainstorming organisé par le FCE, où un panel de brillants économistes, carrément triés sur le volet ont fourni, durant plusieurs heures, des éléments fluides sinon entièrement convaincants, pour la compréhension du thème brûlant de la crise financière actuelle mondiale. Quelles actions entreprendre en Algérie pour parer à la crise ? Que vont devenir les ressources extérieures du pays au vu de la baisse importante, voire inquiétante du prix du baril de brut ? L'Algérie va-t-elle replonger dans une phase d'endettement externe ? Ces questions à peine ébauchées en ont amené d'autres, dont la plus importante : quid des pays en voie de développement ? Globalement, ils sont non affectés, a précisé le professeur Hocine Benissad. Et l'Algérie ? Non plus. Son système financier étant déconnecté du système financier mondial… à quelque chose malheur est bon. Mais dans tous les cas, bien malin qui pourrait bien prévoir ce que sera le baril de brut dans un an ou à moyen terme, et c'était bien là le sujet primordial. Tout le monde sait que l'Algérie vit sur ses recettes en hydrocarbures. Conséquence directe de la crise, les pays de l'Opep ont été frappés de plein fouet par la baisse vertigineuse du prix du pétrole. Il faut espérer par conséquent que le tarif du baril ne descendra jamais au-dessous de 38 à 40 dollars, au moins à moyen terme. C'est la seule issue. L'équation est archi-connue. L'Algérie a raté son décollage économique il y a belle lurette, aucun autre secteur hormis celui des hydrocarbures n'ayant été à même de s'élever au rang de pourvoyeur de devises. L'optimisme très mesuré n'est pas à écarter, dans la mesure où le programme de développement colossal actuel est en bonne voie et a entamé une partie non négligeable de son parcours. Il reste que l'inquiétude demeure tant qu'il n'y a pas concrètement un segment valable de l'économie, les hydrocarbures mis à part, sur lequel pourrait s'appuyer le développement. Et pour cette raison, la question a été justement posée de savoir si à terme, l'Algérie n'ira pas s'engouffrer une fois de plus dans la spirale infernale de l'endettement. L'industrie automobile est parmi les premières à faire les frais de la crise. L'on retrouve ici l'Algérie qui tirerait son épingle du jeu. Non concernée par le secteur de la fabrication automobile, contrairement au Maroc qui vient à peine d'accueillir le géant Renault sur ses terres, l'Algérie serait au contraire convoitée par des pays comme la Chine qui envisage de conduire une usine à Biskra… Et Acilor ? La branche algérienne n'est pas touchée par les compressions annoncées, mais aux suppressions d'emplois se substituent les compressions de charge. C'est Mustapha Mekideche, économiste de renom, qui en a fait la remarque, en se penchant sur les effets sociaux de la crise et mettant le doigt sur le vrai problème : “Les charges ce sont les salaires”, a-t-il souligné. En effet, cela revient au même, car compresser les salaires, c'est mettre à moitié au chômage. À partir de là, si l'on n'étudie pas sérieusement les choses, c'est que l'on tente de cacher le soleil par un tamis. Une réelle opportunité pour l'Algérie Il existe une noria de solutions à la crise avancées lors du colloque du FCE, dont une meilleure surveillance de marchés, une étendue du dispositif aux paradis fiscaux, une révision des normes comptables internationales. La question finale est ensuite posée : s'agit-il d'une crise du système capitaliste ? Le professeur Benissad ne le croit pas. En revanche, il affirme sans hésiter que c'est plutôt la crise d'un libéralisme débridé ! Interrogation : ce libéralisme débridé ne serait-il pas précisément le fondement même du capitalisme actuel, sans que l'on se soit rendu compte ? Le colloque aura mis en relief une autre problématique majeure, apparue lors de cette crise qui a un rapport avec l'interventionnisme de l'Etat. Notons, pour rappel, que c'est le Britannique Gordon Brown qui, le premier, a réussi à nationaliser partiellement l'ensemble du secteur bancaire anglais sans provoquer la moindre levée de boucliers de la part de l'opposition ou de la City. Très remarquée fut l'intervention du représentant de la société danoise Maersk, première compagnie maritime et plus grand armateur de porte-conteneurs du monde, qui va introduire discrètement le sujet prévu sur les effets de la crise en Algérie, et flatter un peu l'orgueil des Algériens en soulignant que “l'attractivité en Algérie restera présente en Algérie en 2009”. La Chine, par exemple, regarderait vers l'Afrique, et de grands groupes commenceraient eux aussi à s'intéresser au Maghreb. “Pour l'Algérie, cette crise représente donc une réelle opportunité”, a dit le directeur de la société Maersk. Mais il aura précisé auparavant les conséquences de la crise sur le transport maritime mondial : insolvabilités des clients, banqueroutes massives, disparitions d'armateurs, bateaux en rade, et “il est hasardeux de faire des prévisions, mais si la crise dépasse les huit à neuf mois, c'est tout l'approvisionnement mondial qui va être touché”, a indiqué le délégué de Maersk, l'entreprise la plus importante du Danemark. Les prévisions du prix du brut C'est donc Abdelatif Benachenhou qui allait, en qualité de modérateur du colloque, situer et clarifier les termes du débat qui se mettent en avant : 1- Quelle est la durée du retour de l'Etat (l'interventionnisme) ? 2- Quelles sont les causes structurelles de la crise financière ? 3- Y a-t-il un doute sur l'efficacité des politiques mises en œuvre, y compris l'interventionnisme ? L'on aura observé un intermède d'importance : Réda Hamiani, le président du FCE, qui prenait le micro et saisissait l'occasion pour revenir sur le retour de l'Etat. Est-ce que il n'y aurait pas effectivement un retour de l'Etat dirigiste avec ce qui ressemble à un échec du libéralisme, et le risque de la disparition de l'économie de marché ? Point crucial qui débordait sur le quasi unanimisme ambiant sur le salut de l'Algérie par rapport à la crise. Le professeur Benachenhou traitera, comme dans un cours magistral, l'improbabilité pour l'Algérie d'être touchée par la crise : baril du brut entre 45 et 60 dollars en 2009, importantes réserves de change, plus de quatre années de capacités d'importation, impact macroéconomique, mais avec une baisse de la croissance relativement faible, etc. Pas de problèmes ? Si, pourtant. 1- Rien ne dit que les prix du pétrole ne vont pas dégringoler, et même en deçà des 39 dollars fatidiques. Le représentant de la compagnie de navigation maritime Maersk, en bon expert lui aussi, a bien situé le délai souhaité pour la fin de la crise (huit à neuf mois), au-delà duquel toutes les prévisions seront brouillées. Et comme le notait quelqu'un dans la salle : “Les prévisions du prix du brut ont joué de sales tours à l'Algérie”. 2- Les précautions envisagées à cet effet quant aux prix fluctuants du brut, engendreront forcément un durcissement dans les contraintes du budget de l'Etat, et par ricochet, une pression sur certains postes de dépenses publiques. 3- Sans présager des autres grands projets, les secteurs stratégiques de l'énergie, principalement Sonatrach et Sonelgaz (dont les projets d'investissement se chiffrent à une centaine de milliards de DA.) devront remettre en question les leurs, d'ores et déjà. L'Algérie devrait bénéficier des effets de la crise, cela étant, en tirant les leçons des perspectives entrevues au plan mondial : suivi et rigueur dans les règles de solvabilité au niveau des banques, retour au modèle de la banque universelle, moins risqué et d'un intérêt plus marquant pour les pays émergents (système de la banque classique), avec enfin en point d'orgue une vraie réforme attendue du système financier international. Et s'atteler enfin à la régulation de son propre circuit financier et bancaire, l'allégement de la fiscalité et des lourdeurs bureaucratiques administratives, afin de ramener tous ces investisseurs qui, semble-t-il, s'intéressent au Maghreb maintenant, et enfin associer les PME-PMI algériennes au développement national. ZOUBIR FERROUKHI