Tous les intervenants s'accordent à dire que la crise financière peut constituer une opportunité pour l'Algérie. La solvabilité externe de l'Algérie est acquise jusqu'à 2015. Il n'y a pas de risque budgétaire jusqu'à 2012. C'est du moins ce qu'a affirmé le professeur Abdellatif Benachenhou, lors d'une soirée consacrée à la crise financière internationale et son impact sur notre pays, organisée par le Forum des chefs d'entreprise, mercredi, à l'hôtel El-Aurassi (Alger). L'argumentaire de l'ancien ministre des Finances est simple. Le prix moyen du pétrole était de 29 dollars en 2003, 35 dollars en 2004, 50 dollars en 2005 et 2006, 74 de dollars en 2007, et en 2008 le prix moyen du pétrole pourrait se situer aux alentours de 100 à 105 dollars. En 2009 les grands acteurs mondiaux prédisent un cours moyen de 55 à 60 dollars. Si le professeur insiste sur la variable, prix du pétrole, c'est que c'est à travers elle, essentiellement, que la crise pourrait se diffuser. Et l'ancien argentier du pays s'est montré plutôt optimiste. En faisant un comparatif avec la crise traversée par l'Algérie en 1986, M. Benachenhou, souligne qu'“il n y a pas de crise du pouvoir d'achat de nature à affecter le fonctionnement de l'appareil de production”. Explication : 1986, c'était une crise issue d'un recul important du pouvoir d'achat externe de l'Algérie. Notre pays avait perdu entre 1987 et 1991, 90% de son pouvoir d'achat international dû à l'effet cumulé de la chute du prix du pétrole et de la baisse du dollar. La crise du pouvoir d'achat de 1986 était profonde, des réserves de changes faibles et un endettement croissant. Les réserves de changes étaient de 2 à 3 milliards de dollars seulement, c'est-à-dire trois mois d'importations et la dette était de 17 milliards. Aujourd'hui les réserves de changes sont importantes,142 milliards de dollars permettant de couvrir quatre ans d'importations. “Cela veut dire la solvabilité externe est acquise jusqu'à 2015. Il n'y a donc pas le feu”, a estimé l'ancien ministre des Finances. Sur le plan budgétaire, aussi, “la situation est radicalement différente”. “Le gouvernement a eu la sagesse en 2001 de créer le fonds de régulation des recettes dans lequel sont logés actuellement 4200 milliards de dinars”, a argumenté l'ancien ministre des Finances. Catégorique, le professeur Abdellatif Benachenhou, indique qu'“il n'y a pas de risque budgétaire”. “Les choses vont bien se passer”, a-t-il rassuré. Grâce aux ressources du fonds de régulation des recettes, le budget de l'Etat sera financé, pendant trois ans, même si le prix du pétrole rejoint le prix de référence, de 37 dollars retenu dans la loi de finances 2009. “Une hypothèse improbable”, a jugé l'ancien ministre. Il n y a donc pas de risque budgétaire jusqu'à 2012, même si le prix du pétrole tombe à 37 dollars le baril. Benissad : “Les investissements publics à moyen terme risquent d'être affectés” Plus nuancé, le professeur Hocine Benissad a estimé que la baisse des prix du pétrole risquerait, à moyen et long terme, d'affecter les investissements publics engagés. Du côté des entreprises, la crise financière mondiale n'est pas perceptible. Le baromètre du Forum des chefs d'entreprise ne traduit pas une mauvaise appréciation en termes de prospective pour les mois à venir. “Nous sommes plus confrontés au plan interne à l'emprise de l'économie informelle et à l'ouverture commerciale qui a fait perdre aux industries algériennes des parts de marché, qu'aux perspectives sombres qui sont agitées à travers la presse et les médias”, a indiqué M. Réda Hamiani président du Forum des chefs d'entreprise, précisant que “l'exposition à l'international n'est pas le lot de bon nombre d'entreprises”. La désindustrialisation du pays préoccupe les patrons et les experts Ce qui inquiète l'ancien ministre des Finances, c'est la désindustrialisation du pays. Le produit industriel à prix constant en 2007 est quasi le même qu'en 1983. Cette désindustrialisation est accompagnée d'une stagnation agricole pendant une longue période. Du coup la croissance économique, les revenus de l'Etat et la capacité d'épargne (très importante) du pays sont très dépendants du secteur des hydrocarbures. L'effondrement, progressif, du secteur public, n'a pas été contrebalancé par le développement du secteur privé, en valeur ajoutée, ni par le développement apporté les entrepreneurs étrangers. La part du secteur des hydrocarbures dans la production de la richesse nationale est passée de 33% en 2002 à 55% en 2008. Les moteurs de la croissance sont, également, le secteur de la construction (faible productivité, faibles salaires) impulsés par les dépenses publiques et le secteur des services massivement structuré par l'informel. Cela veut dire que quand le prix du pétrole est divisé par deux, la croissance perd un quart. Du coup, prévoit le professeur Benachenhou, “la croissance économique va baisser d'un quart en 2009, si les prix du pétrole se comportent tel que prévu et si les volumes restent ce qu'ils sont”. Le président du Forum des chefs d'entreprises reconnaît que la PME/PMI n'a pas été au rendez-vous pour être l'alternative à la croissance. “Mais qu'a-t-on fait pour cette PME/PMI ?” s'est interrogé M. Hamiani. “Nous avons acheté des autoroutes, nous avons acheté du rail, mais la PME/PMI a été complètement ignorée dans la dépense publique”, a regretté le président du FCE, soulignant par ailleurs les difficultés d'accès au crédit. “Les crédits octroyés aux secteurs privé sont plus orientés vers l' importation que sur l'exploitation. Sur les 2 000 milliards de crédits à l'économie, 1 200 arrivent au secteur privé, dont 900 sont consacrés à l'importation”, révèle M. Hamiani, demandant la mise en place d'une stratégie de développement de la PME/PMI. Le délégué général de l'Association des banques et établissements financiers (Abef) ne partage pas le point de vue du président du FCE. “Il n'y a pas autant d'argent à l'importation”, a affirmé M.Benkhalfa, relevant l'importance des créances non performantes sur le secteur privé. Le délégué général de l'Abef souligne par ailleurs que les banques qui s'installent ne prennent pas beaucoup de risque industriel. Pour Rachid Sekak, la non-transformation de l'épargne, très importante, 60% du produit intérieur brut en 2008, en investissements, s'explique par l'absence ou l'insuffisance de l'intermédiation financière. Les surliquidités actuelles, souligne M. Sekak, “sont logées à la BEA et dans les autres banques de la place recapitalisées”. Du coup, “tant que ces surliquidités ne circulent pas, il n'y aura pas d'amélioration de l'intermédiation financière”, souligne-t-il. En tout état de cause, tous les intervenants s'accordent à dire que la crise financière peut constituer une opportunité pour l'Algérie. “L'Algérie a une carte à jouer durant cette période”, a affirmé M. Laurent Branssan de Maersk Line Algérie. “De grands groupes regardent l'Algérie”, relève le responsable de Maersk Line Algérie. Contrairement à ce qui se passe à travers le monde, M. Laurent Branssan souligne “une relative hausse du volume de trafic maritime de marchandises en Algérie”. “L'Algérie sera encore attractive et nous prévoyons une croissance de 13% de notre activité dans ce pays en 2009”, a-t-il indiqué. “L'Algérie, la Russie et le Vietnam sont les trois pays qui peuvent profiter de la crise”, a assuré le directeur général de l'armateur Maersk Algérie. Pour d'autres, c'est l'occasion pour l'Algérie et les entreprises algériennes d'acquérir des actifs à l'étranger des entreprises fragilisées par la crise. Le président du FCE a suggéré l'opportunité de la création d'un fonds souverain. Une idée partagée par M. Mustapha Mekidèche, expert en stratégie. Le patron de Cevital, Issad Rebrab, veut en l'occurrence profiter de la conjoncture et investir à l'étranger à travers des acquisitions. La loi le permet, mais, malheureusement, la Banque d'Algérie n'autorise pas toujours les entreprises algériennes à investir à l'international. Meziane Rabhi