Elle n'est pas toujours facile à détecter car souvent elle est banalisée et ancrée dans les petits gestes du quotidien. Longtemps cachés, la maltraitance et l'abandon des personnes âgées ou handicapées aussi bien à leur domicile que dans les institutions restent encore un tabou et un sujet pas assez pris en considération. Pourtant, c'est un fait réel. Des centaines de personnes âgées et handicapées sont victimes quotidiennement de la maltraitance soit dans le milieu hospitalier, dans les maisons de vieillesse ou dans leur domicile. Briser le mur du silence reste un geste très difficile pour ces personnes par crainte de l'attitude de l'entourage et parfois par honte. Pour ces raisons, il est difficile d'identifier ou de dénoncer une situation de maltraitance qui reste une démarche délicate à cause des risques que peuvent encourir les victimes. Pourtant la maltraitance est considérée par les institutions internationales comme étant un délit très grave. Malheureusement, les personnes âgées ou handicapées sont abandonnées à leur sort. Malgré certaines actions des pouvoirs publics pour prendre en charge cette catégorie de personnes en termes d'infrastructures d'accueil qui restent insuffisantes, beaucoup reste à faire dans la prise en charge psychologique et médicale. Le phénomène de la maltraitance se produit dans les maisons de vieillesse ou les foyers pour personnes handicapées. Les dérapages sont le plus souvent provoqués par l'incapacité du personnel à gérer certaines situations. “Je suis dans ce centre depuis cinq ans. Il est vrai que nous mangeons à notre faim et que nous sommes à l'abri du froid, mais, nous avons besoin de plus de sécurité. Il y a moins de surveillants le soir, chose qui facilite le vol de nos affaires. Surtout pour les personnes qui ne peuvent se déplacer ou malades. Nous sommes maltraités aussi par les femmes de ménage qui nous insultent et nous bousculent”, nous racontera un vieux dans l'un des centres de vieillesse. “Nous sommes obligés de supporter tout. Nous n'avons pas le choix”, dira un autre. Niée bien sûr, par les acteurs du soin et du soutien social et par les pouvoirs publics, la maltraitance dans ces établissements pour personnes âgées est une réalité reconnue même dans d'autres pays. “Les actes de maltraitance sont souvent dus à une trop grande fatigue du personnel encadrant ou soignant. De plus, un comportement énervant et répété de la personne âgée peut suffire pour que des actes de maltraitance soient découverts à l'encontre des personnes âgées”, diront certains. “Il est vrai aussi que ces établissements ne peuvent remplacer un milieu familial et il y a toujours des insuffisances”, selon une source. À force de ne pas les croire, les victimes préfèrent souffrir en silence par crainte d'une réaction de rejet. Si elles sont en famille, elles ont peur d'être envoyées en maison de vieillesse et, si elles sont en institution, d'en être renvoyées. Ce sont des histoires de famille À domicile, les personnes âgées sont notamment confrontées à une maltraitance psychologique et financière. En général, il s'agit de pressions pour signer une donation, modifier un testament ou permettre l'accès à un compte bancaire. “Mes enfants me harcèlent à longueur de journée pour l'argent. J'ai une pension en devises, à chaque mandat c'est l'enfer. J'aurai aimé que mes enfants se disputent pour me garder au lieu de se disputer pour prendre mon bien”, nous racontera aâmi Hamid. Effectivement, la majorité des cas de maltraitance sont dus aux demandes d'argent. “Mes enfants m'ont battu parce que je ne voulais pas leur donner mon argent”. En effet, ces violences physiques sont le plus souvent perpétrées par un fils, une fille, un conjoint ou un membre de la cellule familiale qui s'épuise et n'arrive plus à s'occuper d'une personne devenue très dépendante ou désorientée. Cependant, par dignité, ces personnes âgées refusent de porter plainte surtout quand il s'agit de leurs enfants. La majorité des cas de maltraitance sont généralement étouffés dans le milieu familial. “Ce sont des histoires de famille”, formule généralement répétée par le voisinage ou la société. Battue par sa progéniture Khalti Aïcha est l'une de ces victimes. Veuve, elle travaillait comme femme de ménage pour élever son unique fils. Une fois adulte, il a commencé à lui réclamer de l'argent. Elle ne le prive jamais. À chaque fin de mois, il vient lui demander encore de grosses sommes d'argent. Quelquefois, elle cède et, parfois, elle lui donne pour éviter ses colères car il s'emporte à chaque fois qu'elle refuse. Une fois, elle lui a demandé d'aller chercher du travail pour se prendre en charge. C'est la goutte qui a fait déborder le vase, il l'a bouscule lui causant une fracture au niveau du bras. Elle se fait soigner sans porter plainte. Son fils quitte la maison pour quelques jours, ensuite, il revient à la charge. Encore et toujours l'argent de sa mère. Des amis ont conseillé à la vieille dame de ne plus donner aucun sou à son fils et qu'il aille ailleurs. Dès que la mère a expliqué à son fils qu'il ne pouvait plus compter sur elle car elle est âgée et qu'elle ne peut plus travailler, Il l'a battue à mort. Des voisins sont intervenus et ont obligé la mère à déposer plainte. Une fois devant le commissariat de police, elle hésite et retourne chez elle. En apprenant ce que sa mère allait faire, il la tabasse encore une énième fois. Alors, elle décide enfin de porter plainte. Une fois devant le tribunal et quand elle a entendu la peine, elle se ressaisit et pardonne à ce fils ingrat. Elle n'a pas trouvé d'autre solution que d'aller dans un centre de vieillesse et terminer ses jours là-bas. “Inhospitalité” hospitalière “Vous pouvez prendre votre père chez vous. On ne peut rien faire pour lui”, dira un médecin à un jeune homme accompagnant son père au service des urgences dans un hôpital d'Alger. Le fils essaye de comprendre. Mais le médecin n'insiste pas et finit par lui dire : “Il est vieux, il sera mieux à la maison qu'à l'hôpital.” Cette phrase, on l'entend dans chaque établissement. Sur quelle base le service médical décide-t-il qu'une personne âgée n'a pas besoin de soins comme les autres ? Si l'une de ces personnes arrive à se faire hospitaliser, c'est la galère. “Quand l'infirmière vient me faire une perfusion ou une injection, c'est avec dégoût qu'elle accomplit ce geste comme si nous étions des personnes qui ne ressentons rien”, nous déclare une vieille dame hospitalisée. “Si vous avez un garde-malade, c'est mieux, sinon tant pis pour vous. Personne ne respecte notre pudeur. La femme de ménage crie haut et fort à qui veut l'entendre qu'elle n'est pas là pour nettoyer les urines des malades. Moi-même, elle m'a brutalisée parce que je n'ai pas pu me lever et aller aux toilettes”, racontera la dame, les larmes aux yeux. En effet, le personnel hospitalier entre le matin dans les chambres des malades âgés et ouvrent les fenêtres sans demander leur avis. Certes, ce ne sont pas des violences physiques, mais c'est une forme de maltraitance, car on ne respecte plus la dignité de la personne. Il est plus que nécessaire aujourd'hui de se pencher sur ce tabou. Les nombreux acteurs associatifs ou hospitaliers doivent jouer leur rôle de protecteur et de cellules d'écoute. Car ce phénomène est un délit grave et devrait être pris de plus en plus au sérieux par les autorités ainsi que par les organisations et mériter l'attention de tous les professionnels de la santé. Il est important de sensibiliser la société civile et chercher à mieux comprendre cette problématique pour mieux y répondre en proposant une prise en charge adéquate ainsi que des actions préventives appropriées. F. A.