C'est un événement : le président de la République est allé au cinéma. C'est important parce qu'il ne s'agissait sûrement pas, pour lui, d'aller voir un film ; il aurait pu le voir ailleurs qu'à la salle El-Mouggar. Pour ce que coûtent ses déplacements, en termes de gêne, à la vie sociale, il fallait que cela dépasse l'option d'assister à une avant-première. C'est heureux qu'El-Mouggar subsiste encore, parmi quelques autres salles et permette encore au Président de visionner un film dans une vraie salle obscure. Ce qui est sûr, c'est que, côté infrastructures, il n'y a plus de cinémas en Algérie. De rares endroits, laborieusement restaurés, font office de salles polyvalentes qui accueillent un programme bigarré fait d'initiatives éparses, qui vont du registre de l'activité politique à celui des loisirs pour enfants, en passant par l'animation artistique. De rares occasions cinématographiques se nichent dans cette vie culturelle faite de bric et de broc. Il serait curieux de suivre le destin du film dont Bouteflika vient d'honorer l'avant-première. Après quelques visionnages pour personnes privilégiées, il faudra bien le proposer à ceux qui, en définitive, devraient financer la production culturelle, c'est-à-dire tout le monde et n'importe qui. Mais où ? Dans les trois ou quatre salles d'Alger qui ne s'ouvrent que sur autorisation du ministre en charge de la Culture ou dans les quelques dizaines de salles de chefs-lieux de wilaya consciencieusement surveillées par les directeurs de la culture ? Coproduit par deux ministères (Moudjahidine et Culture) et un privé, il se peut que le film d'Ahmed Rachedi, composé, selon les premières critiques, sur le mode “un seul héros : Ben Boulaïd”, n'ait pas besoin de subir l'épreuve du marché. Dans ce mode de financement, il n'est pas sûr que l'exigence d'art et de rigueur l'emporte sur l'attente politique d'une historiographie officielle. Certes, le talent de nos premiers cinéastes, comme Rachedi d'ailleurs, ou Hamina ou Laskri, avait réussi à concilier les travers d'une production subventionnée et l'aspiration à une cinématographie crédible. C'est qu'il n'était pas suffisant de plaire à l'Etat-providence ; il fallait affronter un public et une concurrence. Aujourd'hui, on tente d'inventer le cinéma sans cinémas, le cinéma sans public. Déjà que beaucoup de cinéastes et de documentaristes ne produisent que pour les festivals. Faute de circuit de distribution, ils ne voient dans la tutelle culturelle qu'un pourvoyeur de fonds à ménager par des scénarios aussi lustrés que possible. Le pouvoir joue le jeu et organise, chaque année, “l'année” de quelque chose et, dans chaque coin, le festival, les journées ou les semaines d'autre chose. Ce dialogue entre le pouvoir et les professionnels, sur fond de fonds publics, et qui, pour cette raison, peut se passer de l'avis du public, voire de son existence, n'est pas fait pour promouvoir la création artistique et encore moins sa qualité. Ce déclin politiquement organisé et financé de l'art et de l'industrie cinématographique est bien résumé par le propos d'un cinéaste qu'on ne pourra pas citer, faute de permission : que “le cinéma a commencé avec Lakhdhar (Hamina, ndlr) et se termine avec Hadj Lakhdhar”. M. H.