Ils sont des centaines de sans-domicile fixe (SDF) à errer dans les rues et ruelles de la ville de Béjaïa durant ces journées et nuits gelées de ce mois de décembre. Le temps glacial qui sévit en ce mois de décembre a vu un semblant de mobilisation de la part de structures censées apporter aide et assistance à cette frange de la société oubliée, les sans-domicile fixe. Depuis quelques années et à chaque saison hivernale, l'administration se mobilise pour la prise en charge des sans-domicile fixe (SDF) au niveau de toute la wilaya. L'opération d'assistance des SDF de cette année, œuvre d'une commission installée récemment et constituée de la DAS, de la police, du CRA, de la santé et des associations, est effective depuis une semaine. Déjà environ 17 personnes ont été hébergées au niveau de foyers pour personnes âgées, où “tous les moyens et commodités sont réunis pour la réussite de l'opération hivernale pour les SDF de la wilaya, notamment pour le volet médical”. Selon les chiffres de la police, 356 personnes sans toit ou errantes ont été recensées en 2007 et pour cette année 2008 qui tire à sa fin. Rien que pour la seule commune de Béjaïa, le chiffre a atteint déjà 370 cas. A El Khemis, quartier populaire à Béjaïa, il était 1h30 du matin en cette froide nuit du samedi 15, les rues sont désertes donnant l'image d'une ville fantôme. Hormis la ronde des patrouilles de police, le temps s'est presque arrêté dans cette ville, et la circulation automobile était presque inexistante. Un homme, la cinquantaine, attend impatiemment devant une boulangerie la sortie des poubelles pour en tirer de quoi manger, dit-il, à l'instar de beaucoup d'autres “repérés” aux différents coins de la ville. Ce geste de survie est apparemment un rituel pour cet homme, oublié des siens. Notre accompagnateur, un taxieur de nuit, nous montre également du doigt des hommes, mais aussi des femmes accompagnées d'enfants en bas âge errant du côté de la gare cherchant, en vain, où trouver à manger et s‘abriter pour échapper au froid. “Ils sortent généralement quand les rues se vident. Les poubelles sont alors prises d'assaut”, dira-t-il. À la question de savoir qui sont ces gens-là, notre interlocuteur martèlera : “À quoi bon savoir d'où ils viennent ou qui ils sont. Le fait est là, il y a des gens à Béjaïa qui ont froid et faim”. La sentence est terrible quand nous arrivâmes au niveau du rond-point Amriw, où des restaurants restent ouverts et beaucoup de passagers y transitent. Le gérant de l'un de ces restaurants, que nous avons interrogé sur le sujet, nous avoue : “Vous savez, à partir de minuit beaucoup de gens viennent ici et nous supplient pour manger un bout. On tolère deux à trois par nuit, mais pas plus. On n'a pas les moyens. L'Etat doit faire quelque chose pour ces gens-là. Qu'ils fassent ce qu'ils font durant le mois de Ramadhan. Au fait, où sont ces restos de la Rahma ?” s'interroge-t-il. De l'autre côté de la capitale des Hammadites, précisément au quartier d'Ihaddaden, c'est les mêmes images de désolation. “Généralement, on ne les aperçoit que rarement ici à cause, peut-être, de l'insécurité. Par contre, beaucoup de ces chercheurs de pain se rendent devant le portail de l'université”, rétorque notre accompagnateur nocturne. Cette sortie nocturne à travers les artères de la ville des Hammadites nous renseigne sur cette réalité implacable, des hommes et des femmes cherchent jusqu'au bout de la nuit de quoi se nourrir et passer la nuit. Cette ronde nocturne dans la ville de Béjaïa nous a permis également de découvrir et de voir de visu que des abribus en ce mois de décembre 2008 servent toujours de logis pour les SDF. Le square d'El-Khemis est aussi le lieu et le refuge de prédilection de ces personnes errantes en ces nuits glaciales, des êtres oubliés d'un système véhiculé par des hommes locaux aveuglés par le pouvoir et par la chaleur des salons de réception. À noter qu'à Béjaïa, des SDF ont été récupérés par des éléments de la Protection civile et acheminés vers les centres de la région. Ces structures d'accueil prévues par la DAS, sur instruction du ministre de tutelle et en collaboration avec la sûreté de wilaya, la gendarmerie et le Croissant-Rouge ont eu fort à faire pour la prise en charge des SDF et des malades mentaux errants. En matière de protection sociale, Béjaïa dispose de 7 structures pour la prise en charge de cette catégorie sociale. Ces derniers nécessitent soit une réintégration au sein de leur famille, soit une prise en charge immédiate. Cet effort est néanmoins inexistant dans d'autres localités de la wilaya de Béjaïa où ces SDF sont carrément livrés à eux-mêmes. A. HAMMOUCHE