Au-delà de la satisfaction légitime suscitée par la libération des délégués du mouvement citoyen, l'initiative d'Ahmed Ouyahia à l'origine de cette mesure d'“apaisement” ne risque-t-elle pas de subir le sort des précédentes. L'offre de dialogue du chef du gouvernement est-elle une nouvelle manœuvre destinée à servir, encore une fois, des visées électoralistes ? La question mérite en tout cas d'être posée, car l'offre de Ouyahia n'a été suivie d'aucun message juridique de l'Etat sur les préalables qui relèvent de son autorité. Il en est ainsi de la question hautement politique et symbolique de la traduction des assassins, formellement reconnus, qui ne semble toujours pas à l'ordre du jour. La réparation d'une deuxième injustice — la libération des prisonniers — ne pouvant en aucun cas effacer la première. La gestion par le pouvoir de la crise de Kabylie depuis le Printemps noir sera inévitablement une source de difficultés supplémentaires lorsque viendra le temps des négociations. Si, toutefois, les archs consentent à se mettre à la table du dialogue. Car la proposition du chef du gouvernement, présentée avec une subtile démarche médiatique comme une nouveauté, est l'exacte réplique de celles formulées avant lui par Ali Benflis. Lorsqu'il était chef de gouvernement, ce dernier avait dit exactement la même chose et a toujours appelé les archs à désigner leurs délégués et s'est montré disponible à discuter avec toutes les bonnes volontés représentatives. En fait, depuis septembre 2001, l'invitation au dialogue était récurrente, même si elle a été pervertie en cours de route par des appareils qui interféraient régulièrement dans cette affaire, ce qui avait conduit notamment en décembre 2001 à cette parodie de dialogue avec ceux que l'on appelle, depuis, les délégués “taiwan”. Deux jours avant son limogeage début mai, Ali Benflis confiait que “s'il avait eu les coudées franches, il aurait pu régler le problème de la Kabylie en moins de 15 jours”. La manière avec laquelle le patron du FLN a quitté le palais du gouvernement éclaire un peu plus, aujourd'hui, sur les véritables artisans du blocage, lorsqu'il s'agissait de rechercher une solution à cette crise. Aujourd'hui, le pouvoir ressort à nouveau la carte du dialogue sans pour autant présenter des gages suffisants de bonne volonté. De plus, la réputation qui a précédé Ouyahia n'est pas faite pour garantir une démarche ouverte. Le profil du chef du gouvernement, connu pour être l'homme des missions “sensibles”, pèse lourdement sur son initiative, d'autant plus que l'ordonnateur de cette mission, le chef de l'Etat en l'occurrence, se garde de s'exprimer pour le moment. Les contradictions relevées dans les propos tenus à l'Assemblée nationale et au Conseil de la nation ne contribueront certainement pas à lever les doutes. éradicateur à l'APN, Ahmed Ouyahia sera le laudateur d'un chef de l'Etat, grand réconciliateur, au Sénat. Et la question court aussi parmi les délégués du mouvement citoyen : peut-on servir un président dont on dit combattre les options fondamentales ? “beaucoup restent dubitatifs quant à la réelle volonté du pouvoir de régler la crise en Kabylie”, affirme un délégué de Larbaâ Nath-Irathen. “Qui a envoyé Ouyahia et dans quel objectif ?”, s'interrogera un autre délégué. Le sort qui sera réservé aux préalables majeurs du mouvement citoyen renseignera sur les intentions de tout un chacun. La question de la volonté politique est donc pour l'instant entière. Une chose est sûre, le mouvement citoyen ne va pas baisser les bras tant que certaines de ses revendications ne sont pas satisfaites en urgence, d'autres, il est vrai, peuvent faire l'objet d'une longue et lente maturation, estiment des observateurs. Les éventuels négociateurs des archs iront à la table des discussions tout en n'ayant aucune illusion sur les intentions du pouvoir, conscients plus que jamais que c'est l'enjeu de la présidentielle qui a amené ce pouvoir à lâcher du lest. L'appel de Ouyahia, quand bien même il était solennel et lancé en kabyle pour les besoins de ce nouveau scénario, n'atténuera en rien les séquelles laissées en Kabylie par une répression sauvage. R. B.