Le séisme du 21 mai a mis à nu un Etat à la vie totalement parallèle à celle de sa société. On pourrait croire qu'il serait incapable d'anticiper sur le moindre évènement qui affecte le pays ; non, il n'en a pas la préoccupation. Dans un système qui vit par la synthèse d'individuelles ambitions comme le nôtre, il n'y a pas de place pour les causes d'Etat. Au mieux, quelques solidarités de coterie assurent aux clans des équilibres de circonstance. Il a fallu quelques heures, bien après que le directeur de l'ENTV n'apparût à l'écran de télévision pour nous dire… qu'il n'en savait rien, pour que l'Algérie se rende enfin compte qu'elle était sinistrée ! Longtemps après qu'une grande partie de la planète ne le sût. Et tant mieux, quelque part. Le cirque du lendemain de sauveteurs étrangers bloqués et processionnant sur l'autoroute, tandis que les sirènes et les gyrophares ouvraient la voie aux troupes antiémeutes — seul domaine de prévoyance nationale — et au cortège de Zerhouni, n'aurait pas eu lieu si le gouvernement avait mis un peu plus de temps à placer Zemmouri sur une carte. Quand un Etat est à ce point détaché de la réalité qu'il est supposé nous rendre plus vivable, il devrait au moins compenser par la mansuétude de nous éviter la cynique comédie d'un Ouyahia expliquant aux insouciants élus du peuple que l'Algérie ne disposait, au 21 mai, que de quelques centaines de tentes, jetant effrontément la pierre à ses devanciers et dissimulant le fait qu'il fut justement le plus durable de ses prédécesseurs. D'ailleurs les Algériens n'attendaient pas des miracles de leurs immobiles responsables; ils se mobilisèrent, victimes et concitoyens, pour se démerder avec les moyens du bord avant que les irrésistibles égoïsmes et les importuns prosélytes de tout acabit ne gâchent l'élan spontané. Après les prêches et les visites, le Président continuait à exhiber sa science opportune pour poursuivre l'effort de sa télévision unique engagée depuis trois semaines à glaner les faux témoignages sur l'infaillible innocence du pouvoir dans cette tragédie comme dans les autres. Des savants, algériens et formés en Algérie, trouvent le temps de se prêter à des parodies de vulgarisation sismologique qu'on peut lire dans des manuels de collège. Aller chercher des transfuges du Craag en Californie pour s'offrir la recommandation de “dire la vérité aux Algériens”, c'est oublier que l'heure n'est pas à se soucier de leur culture, mais à les aider à passer l'épreuve de la douleur et organiser les conditions de leur survie. Quand les uns convoquent la religion pour relancer leur criminel projet sur les décombres d'une région, les autres appellent la science à témoigner de leur légitimité perdue. Cela vous donne l'image absurde d'un chef d'Etat tentant d'interpréter une radiographie. Quelle différence entre le charlatanisme religieux et cet acte de pratique illégale de la médecine ? Les deux tendent à mystifier un peuple déjà passablement anéanti par tant de souffrances. La faille de Zemmouri n'est pas seulement celle, fatale, creusée par la nature. Elle confirme que nos dirigeants n'ont rien à voir avec nous : à part se faire filmer sur nos tombes, ils n'ont pas grand-chose d'utile à nous dire. Et encore moins à nous faire. M. H.